Présentation éditeur
Dans le paysage d’eau et de brume de la Bassa, au bord du Pô, le commissaire Soneri est à l’aise. Avec les anciens du coin, il est le seul à bien connaître cette partie du fleuve, à savoir se déplacer entre les rives, les plaines inondables, les fermes éparpillées dans une terre qui semble habitée par des fantômes.
Alors quand deux cadavres sont retrouvés, c’est lui qu’on charge de l’enquête. L’une des victimes est un Hongrois tué d’une balle dans la tête ; l’autre, un ancien partisan, mort depuis des jours dans sa maison isolée. Deux histoires différentes, liées par un fil que Soneri aura bien du mal à démêler. Entre les pêcheurs de silures venus de l’Est, un trésor de guerre disparu et le nouveau terrorisme rouge, le commissaire mélancolique et gastronome devra naviguer en eaux troubles pour résoudre cette affaire...
Ce que j'en pense
Valerio Varesi fait partie de mes auteurs préférés, depuis quelques années seulement, mais il est désormais bien installé dans mon petit panthéon personnel. Il a quelque chose de singulier, il allie la noirceur et une forme de douceur, liée à l'hédonisme de son personnage, un hédonisme qui résiste à toutes les saloperies de ce triste monde. Ainsi, retrouver Soneri, c'est pour moi la promesse de replonger dans un univers de fiction qui me comble. La maison du commandant a quelque chose d'un retour aux sources (oui, déjà), puisque Soneri est amené, une fois encore, à enquêter dans la bassa, noyée dans la brume et sous la pluie, un univers fragile où le Pô, qui va être en crue, fait sa loi. Je vous laisse découvrir l'intrigue, à la fois banale et retorse, avec un mort mystérieux, Gabor, et un mort qui fait bien des vagues, le Commandant. Valerio Varesi entrelace soigneusement les fils de son intrigue, laissant à Soneri le soin d'aller au-delà des évidences (qui n'effraient jamais le questeur), de suivre son intuition, de se laisser porter aussi par le hasard (ou le sort) : l'accident sur la route de Soneri, le sac charriant de vieux documents à la faveur de la crue. N'allez pas croire que l'auteur utilise des pirouettes pour construire son histoire, tout est maîtrisé.
On compare souvent Varesi à Simenon, l'un de ses maîtres, et la parenté est là. Soneri est comme Maigret qui prend sa "tête de province", se fond dans le paysage, observe, écoute. Comme Maigret, c'est un marcheur et un flâneur, et les rencontres de hasard le font parfois avancer, comme ses discussions avec Lumen, ce vieil homme étonnant qui ne sort que la nuit. Comme Simenon, Valerio Varesi est un romancier d'ambiances, d'atmosphères : il a le talent de nous faire sentir la puanteur montée du fleuve, l'humidité des maisons abandonnées (ou presque), la poix de la brume qui enveloppe tout. La scène, au début du roman, où Soneri et Nocio partent à la poursuite d'un canot sur les flots est saisissante, et même si vous allez dire que je divague, je vous l'avoue, j'ai pensé à cette nouvelle de Maupassant, Sur l'eau.
La comparaison avec Simenon a cependant ses limites, car Varesi, à mes yeux, va bien plus loin que lui : Maigret, s'il pouvait à l'occasion prendre le parti des faibles, en laissant par exemple filer un coupable, gardait une forme de réserve sociale. L'époque est différente, et Soneri, lui, est en colère, furieux contre ce monde et ses règles. On retrouve ici le regard désabusé mais qui ne se résigne pas de Soneri face aux saloperies ordinaires, à la bêtise, aux reniements, aux aveuglements idéologiques. Il doute, souvent, profondément, et dans La maison du commandant, la mort dans la plus extrême solitude du Commandant, justement, bouleverse Soneri. Dans quel monde un homme que le Commandant meurt-il seul, abandonné de tous? Et face au sort qui nous est fait, comment sortir de certaines impasses, entre résignation et impuissance, entre vaine violence et reniement des idéaux? Les constats de Soneri sont amers. Le Pô charrie aussi bien les secrets de la guerre que les ignominies de l'époque (le rejet de ces étrangers qui viennent pêcher la silure).
La mélancolie l'étreint souvent, et s'il a la consolation de la chair, la relation avec Angela, qui le tire du côté solaire de l'existence, n'est pourtant pas de nature à le rassurer. Dans le droit fil des aventures précédentes de ces deux-là, La maison du commandant montre un Soneri à qui le plaisir et le désir n'apportent pas tout.
Les polars de Valerio Varesi ne consolent pas, ils n'offrent pas une résolution susceptible de rassurer. Mais malgré cela (ou grâce à cela), ils font du bien et procurent le bonheur de retrouver un univers et une écriture, de rencontrer une vision du monde partagée. Ce n'est pas rien.
Valerio Varesi, La maison du commandant (La casa del comandante), Agullo Noir, 2021. Traduit de l'italien par Florence Rigollet.
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