samedi 24 avril 2021

Le Cercle des rêveurs éveillés d'Olivier Barde-Cabuçon



Présentation éditeur 

Paris 1926. Tournées vers les plaisirs et la fête, les années folles battent leur plein et Montparnasse est le nombril du monde. La mort suspecte d’un patient amène Alexandre Santaroga, psychanalyste atypique, à s’intéresser à un mystérieux cercle de rêveurs éveillés. La rencontre fortuite avec Varya, récemment échappée de la Russie bolchevique, lui permettra d’y enquêter. Mais Santaroga a-t-il introduit une brebis ou un loup au sein du cercle ?
Surréaliste et adeptes du rêve éveillé, aventurière et artiste, Russes blancs ou Américain en goguette, Olivier Barde-Cabuçon donne vie à une galerie de personnages étonnants du Paris flamboyant de l’époque tandis qu’en coulisses se dessinent la montée du fascisme et la tentation de dangereuses alliances.

Ce que j'en pense

Oh quel plaisir que ce roman! Je précise avant toute chose que je n'avais jamais lu l'auteur, que j'associe sans doute abusivement au polar historique. Mais voilà, depuis quelques années, nombre d'auteurs de roman noir, parmi les plus grands, s'emparent de l'Histoire, pas seulement à partir du présent (Daeninckx et Amoz sont les premiers noms qui me viennent), mais en plongeant directement et exclusivement dans la période qui les intéresse : et là, c'est le nom de l'immense Hervé Le Corre qui me vient en premier. Ce que parvient à faire Olivier Barde-Cabuçon à mes yeux, c'est allier ce qui fait le plaisir du polar historique et la puissance du roman noir, nous offrir un formidable divertissement et nous plonger dans une période lourde de périls. Alors oui, j'ai aimé plonger dans ces Années Folles, dans ce Paris de fêtes fantasques et de personnalités excentriques, dans ce bouillonnement intellectuel et artistique. Ce n'est pas le moindre des plaisirs qu'offre Olivier Barde-Cabuçon, et je ne l'ai pas boudé, d'autant qu'il se sert à merveille des ressorts romanesques du grand roman populaire, ménageant surprises et scènes stupéfiantes à la manière des feuilletonistes les plus talentueux. Les premiers chapitres sont à ce titre jubilatoires, et l'auteur a un talent fou pour accrocher le lecteur. De même, il construit une galerie de personnages hauts en couleur, comme on dit, incarnés en quelques paragraphes. Certains mériteraient encore des développements, non qu'ils ne soient assez fouillés, mais parce qu'ils sont riches de potentialités narratives, à commencer par Santaroga le jungien. Je ne sais d'ailleurs si Le Cercle des rêveurs éveillés marque le début d'une série ou non : il se suffit parfaitement à lui-même, mais il pourrait aussi appeler d'autres aventures. 

A ce plaisir romanesque s'ajoute une autre dimension : une mise en perspective des personnages et des évènements dans l'Histoire et dans l'évolution de la société. Les personnages féminins sont nombreux et tous passionnants, évocateurs des pesanteurs de la société française et des débuts de libération perceptibles dans les classes supérieures (pour leur frange artiste, en tout cas) : libération sexuelle, liberté de l'orientation sexuelle, aliénation, prostitution (superbes évocations des "maisons de plaisir" de la bonne société mais aussi des pierreuses)... Varya occupe le premier plan et elle est formidable d'ambiguïté, là encore Olivier Barde-Cabuçon ne tombe pas dans le piège de la nana badass. Il en fait un personnage complexe, pas un agneau sacrifié, pas non plus une amazone au rabais. 

Surtout, Olivier Barde-Cabuçon prend les Années Folles pour ce qu'elles sont aussi : la dernière danse avant le chaos, avant l'horreur. La révolution bolchévique a eu lieu et Staline est à la manoeuvre, les Russes blancs cherchent des alliances et pas des plus glorieuses, Mussolini est déjà bien en place, Hitler fait parler de lui pour ses basses oeuvres : le futur est bien sombre en Europe, le pire est à venir. Olivier Barde-Cabuçon aborde les choses sans simplisme, sans manichéisme, et c'est passionnant. 

J'ai refermé le roman à regret, et je ne souhaite qu'une chose, retrouver Santaroga et pourquoi pas, Varya. 

Ah et je n'ai pas parlé des références constantes à Lewis Carroll, dans le récit même (on sait le rôle joué par les Surréalistes dans la perception de Carroll en France) et en tête des chapitres : je vous laisse découvrir... mais voyez la couverture, elle est elle-même une référence directe à Alice. 


Olivier Barde-Cabuçon, Le Cercle des rêveurs éveillés, Gallimard Série Noire, 2021. 

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