Présentation éditeur
Dans une ville d’une ex-république soviétique, à la frontière entre l’Est et l’Ouest de l’Europe, aujourd’hui envahie de touristes, débarque un certain Christophorov. Il arrive de Saint-Petersbourg, se prétend journaliste ou historien et enquête sur un groupe artistique et littéraire des années vingt, « Le Chevalier de Diamant ». Ce groupe aurait créé un opéra, La Mort de Pétrone, qui ne donna lieu qu’à une seule représentation : la légende raconte qu’une crise de folie collective aurait frappé le public, se terminant en orgie générale. Peut-être parce qu’on aurait versé dans le champagne des invités de la poudre de cantharide, un puissant aphrodisiaque… À la suite de ce scandale, le groupe fut dissout et ses membres semblent s’être évanouis sans laisser de traces.
Christophorov tente de remonter leur piste, en interrogeant quelques vieux mémorialistes ou collectionneurs, tous ravis de lui prêter main forte. Un peu trop ravis, peut-être ? À mesure que son enquête avance, Christophorov remarque dans la ville une kyrielle de détails ou de phénomènes qui suscitent une impression d’inquiétante étrangeté. Et les autochtones qui s’intéressent de plus en plus près à ses recherches ne sont pas les moindres de ces étrangetés…
Ce que j'en pense
J'ai quitté les rives du noir et du réalisme pour me laisser porter par la prose de Maria Galina, que je découvrais à l'occasion de cette lecture. Evidemment, si vous voulez un livre facile, un livre où tout est rationnel et lisible, passez votre chemin : mais si vous acceptez de vous laisser embarquer, la balade est bien belle et captivante. Je ne suis pas du tout spécialiste du roman russe, mais j'ai lu en mes jeunes années quelques auteurs et ici, je ne saurais dire pourquoi, j'ai parfois songé à Biély, notamment à son Pétersbourg que j'avais tant aimé. Il y a chez Maria Galina une démesure, un humour et une folie qui me semblent, sans que je sois capable de bien l'expliquer, très russes. Mais j'ai aussi pensé à des auteurs d'un autre continent, l'Amérique latine, notamment à Borges, pour le côté puzzle, labyrinthe, et pour la réflexion sur le récit, sur la fiction, mais aussi au réalisme magique d'un Cortazar. Car notre historien en quête de l'opéra maudit se laisse sans cesse prendre à des récits, et son enquête le mène de conteur en conteur, d'affabulateur en affabulateur. Qui dit la vérité? Et la vérité, qu'est-ce que c'est ? La fiction n'est-elle pas plus intéressante et au fond, véridique? Comme le personnage, nous y perdons notre latin, et Maria Galina se joue de lui et de nous en nous portant aux confins du fantastique : sylphes, salamandres et vampires, toute une mythologie surgit et nous fait douter du réel, de notre perception du réel. Notre héros repartira dépouillé de toutes ses possessions et de toutes ses certitudes. Le récit est émaillé de références artistiques, littéraires, de références à la pop culture (les serveurs Batman!), c'est touffu et passionnant. Les personnages sont à la démesure du roman : créatures insaisissables, doux illuminés, artistes excentriques, étranges riders (pas des bikers, s'il vous plaît), la galerie est savoureuse.
Ne vous laissez pas déconcerter par le début : il y a chez Maria Galina une façon de composer son roman un peu abrupte, diront certains, avec des changements de lieux, de personnages, sans transition. Mais comme je vous disais, il faut se laisser embarquer et Autochtones se mérite, car il faut s'habituer à son rythme et son ton. Croyez-moi, ça en vaut la peine, et il serait dommage de passer à côté de ce livre, sorti en février : certes, c'est moins pire que d'être sorti en mars, mais tout de même, Autochtones risque d'avoir été éclipsé par les évènements. Quant à moi, si ça ne vous gêne pas, je vais me procurer L'organisation, son précédent roman paru chez Agullo, parce que je referais bien un petit tour avec Maria Galina.
Remarque : je soupçonne le travail de la traductrice Raphaëlle Pache d'être absolument remarquable, bravo à elle.
Maria Galina, Autochtones, Agullo, 2020. Traduit du russe par Raphaëlle Pache.
Maria Galina, Autochtones, Agullo, 2020. Traduit du russe par Raphaëlle Pache.
2 commentaires:
toujours un excellent commentaire :-)
Merciiii!
:-)
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