mercredi 29 janvier 2020

Mon coeur restera de glace de Eric Cherrière


Présentation éditeur
Dans ces bois du fin fond de la Corrèze, un jeune garçon trouve refuge en 1918, en compagnie de son frère, une « gueule cassée ». Une guerre plus tard, des soldats allemands s’y enfoncent, sur les traces d’une de leurs unités disparues. Ces mêmes arbres que l’on retrouve en 2020, peints sur les murs de la chambre d’hôpital d’un vieillard allemand. 
Aujourd’hui le vieil homme va parler. Révéler le secret de cette forêt qui ébranlera bien des existences, bien des certitudes. Bien des familles.


Ce que j'en pense
Voilà un livre que j'ai saisi quasiment au hasard sur la table polar d'Ombres blanches, séduite par la couverture et le prière d'insérer de la 4e de couverture. Mon avis est mitigé mais plus positif que négatif. L'évocation des exactions d'une unité allemande, composée en partie de SS, dans la Haute Corrèze en janvier 44, est saisissante. Ne rien nous épargner me semble nécessaire à l'heure où une proportion non-négligeable de Français, malgré leur scolarisation (on rêve et on se demande où ils sont quand ils sont en cours), dit ignorer la réalité de la Shoah ou pire, la nie. Dans ce petit village se cachent des familles juives, et il faut apaiser le commandement allemand qui sent la déroute approcher en tuant toujours plus de juifs. 
Où vont mes réserves? Ce n'est pas le caractère un peu trop hasardeux de la mise en présence de deux hommes ennemis en ces circonstances mais bien plus liés qu'ils ne le savent (chut!), car ceci est une nécessité romanesque qui ne me gêne pas : le propos est ailleurs, j'accepte donc sans problème cet artifice. Non, c'est que je trouve le roman inabouti sur certains points. Par exemple, la partie de l'action se situant en 2020 : elle est trop rapidement évoquée à mon goût, les liens qui unissent les personnages malgré eux, la confession sans cesse retardée du personnage cloué sur son lit d'hôpital, sa rémission miraculeuse, etc. Tout ça m'a semblé un peu brouillon, disons. Et puis il y a des choses qui me semblent terriblement justes mais qui sont lâchées à la fin et guère exploitées avant : ainsi, le fait que les grands gagnants des conflits, quelle qu'en soit l'issue, sont les grandes firmes, en somme, le grand capital. C'est lâché mais pas préparé par ce qui précède, et pas plus exploré que cela, et c'est dommage. Enfin, la trajectoire du Croquemitaine, victime du conflit de 14-18, me semble un peu rapidement évacuée, et je trouve qu'elle ramène le conflit de 39-45 à des destinées individuelles, ce que je trouve dommage et finalement peu en rapport avec le constat éludé, justement, que les guerres sont liées à des raisons économiques, autant qu'idéologiques. Bref, je n'ai pas trouvé le propos très clair. 
Et c'est dommage car il y a de belles qualités dans ce roman : la capacité à lier les conflits (même si je ne suis pas convaincue par les liens ici explorés), l'évocation sans complaisance mais sans concession des horreurs de la guerre, de la Shoah, l'exploitation de l'environnement naturel, tour à tour protecteur et menaçant. J'ai lu le roman avec intérêt, mais je pense qu'il manque quelque chose pour en faire un très grand roman. 

Eric Cherrière, Mon coeur restera de glace, Belfond, 2020. 

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