mardi 2 juillet 2019
L'été où tout a fondu de Tiffany McDaniel
Présentation éditeur
État de l’Ohio, dans les années 80 : le procureur Autopsy Bliss invite le diable dans sa petite ville de Breathed. Ce n’est pas un démon rouge et cornu comme dans l’imagerie populaire qui répond à cette invitation, mais Sal, un jeune garçon noir aux étranges yeux verts. La famille Bliss, qui le pense échappé d’une ferme voisine, l’accueille chez elle. Le temps d’un été, Sal partage donc la vie de Fielding, de son grand frère Grand, parfaite incarnation de l’idéal américain, de sa mère, qui craint trop la pluie pour s’aventurer dehors, de l’irascible tante Fedelia et de la vieille chienne Granny.
Mais sous ses airs de poète, le jeune homme semble semer l’agitation partout où il va. Canicule sans pareille, événements inquiétants et accidents suspects viennent attiser le climat de discrimination et de ferveur religieuse qui règne sur cet État du Midwest – jusqu’à ce que la suspicion, le fanatisme et la mort s’emparent peu à peu de la ville…
Ce que j'en pense
J'ai commencé ce roman dans le train qui m'emmenait à Paris samedi matin, alors que sévissait depuis deux jours une canicule qui promettait un (bref) séjour parisien ralenti, et je l'ai terminé dans les premières minutes de mon trajet de retour. Sans Christelle Mata, je serais peut-être passée à côté de ce titre: encore merci à elle, c'est l'une de mes plus belles lectures de cette année.
J'ai parfois pensé à La nuit du chasseur (je précise que je ne connais que le film de C. Laughton), pour cette atmosphère de conte noir et d'allégorie, et vous vous doutez bien que c'est un compliment. On sait que l'on va vers le pire, inéluctablement, que l'arrivée de Sal, alias le Diable, venu à l'invitation du père du narrateur, va faire exploser cette communauté au nom si significatif, Breathed (prononcer Breathe-ed), qui suffoque sous l'effet de températures hors du commun, qui semblent accompagner le jeune homme. Mais vous ai-je dit que le Diable est noir? Alors certes, nous ne sommes pas dans les années 1950 mais dans les années 1980, pourtant, le Diable est noir et c'est en soi quelque chose qui secoue ces habitants. On a vu par ailleurs, en France, combien les années 1980, vers leur milieu, sont une charnière, un moment de rupture dans des romans parus ces derniers temps. Ici aussi, mais pour une autre raison : c'est mentionné dès le début, c'est l'identification du HIV qui est peut-être un des évènements les plus déterminants. Sachant que j'ai l'âge exact du narrateur (enfin je veux dire que j'avais 13 ans en 1984), cet ancrage dans les eighties me parle, bien sûr.
Le coup de force du roman est de nous faire nous interroger, comme le narrateur, sur l'identité de ce garçon : est-il vraiment le Diable? ou juste un adolescent borderline? Il faut attendre pour le savoir, mais la réponse importe peu, au final. Car le Diable, c'est nous, il est en nous, que vous l'appeliez ainsi ou autrement (je préfère autrement, si vous voulez bien). Le Mal est en nous, et le nier pour en rejeter la responsabilité sur quelqu'un d'autre est sans doute ce qui nous rend, pauvres humains pathétiques, si dangereux. Nous sommes à la fois craintifs et courageux, bons et mauvais, mauvais juges d'autrui souvent, capables du pire toujours... Et avant même ces considérations existentielles, il y a tout simplement dans ce roman un portrait d'une certaine Amérique, bigote à la folie, violente, intolérante. Et ça fait froid dans le dos. Dans L'été où tout a fondu, les enfants, de jeunes adolescents, sont agis par les adultes : frappés, manipulés, rejetés, même aimés, ils sont toujours façonnés par le regard des adultes et rares sont les échappées possibles pour eux. Le narrateur, nonagénaire quand il fait pour nous ce terrible récit, a été déterminé par cet été de folie, un été de perte pour lui, de tragiques pertes, d'innocence perdue, un été de basculement dans la violence, qui ne le quittera plus jamais ou presque, le rendant inapte au bonheur. Et sans les adultes, sans la folie de son père (inviter le diable, franchement?!), sans la folie aux multiples visages des adultes qui l'entourent (de sa mère à M. Elohim), et qui auraient pu en d'autres circonstances l'élever vers le meilleur, il n'aurait pas été ainsi condamné.
Et comme ce roman est bouleversant! Sal évoquant l'enfer, la souffrance des âmes damnées, Sal évoquant sa chute et l'ultime main tendue (chut!), c'est d'une beauté et d'une émotion à couper le souffle. Sal, ange déchu, le seul à être lucide et sage, être de lumière à la peau noire, forcément (con)damné lui aussi. Son évocation des millions de marches et celle du vestibule et des portes va me hanter longtemps, je le sais.
C'est un premier roman et c'est magistral de force et de maîtrise : c'est le roman initiatique d'un jeune homme de 13 ans doublé d'une descente aux enfers, avec un rythme crescendo remarquable, et des évocations d'une puissance saisissante.
Tiffany McDaniel, L'été où tout a fondu (The Summer That Melted Everything), Joëlle Losfeld, 2019. Traduit de l'anglait (USA) par Christophe Mercier.
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2 commentaires:
décidément ! tu veux me tuer, ma PAL est déjà énorme ! mais je le note (il sera sans doute à la BM)
et le Diable est noir, oui ! ça ma rappelle la vie de ce bluesman noir des années qui a connu le succès en vendant son âme au diable ...
Si tu le trouves, n'hésite pas! Je pense que ça te plaira beaucoup. ;-)
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