samedi 6 juillet 2019

Les enchaînés de Jean-Yves Martinez



Présentation éditeur
Un jeune homme débarque dans un petit village de la Drôme. En plein hiver. Il arrive du Sénégal, sans-papier, il a dû se frayer un chemin à travers l’Espagne, mentir, endurer foyer, centre de rétention pour arriver jusque-là. Et il cherche monsieur Denis. Ils se sont connus là-bas, en Afrique, monsieur Denis travaillait pour une ONG et David Sedar était son guide. Avant de partir, monsieur Denis lui a fait une promesse – et David Sedar tient à ce qu’elle soit honorée.
Dans une grande bâtisse isolée au cœur des bois, la femme de l’humanitaire accueille le réfugié. Car son mari a disparu, laissant derrière lui un mystérieux carnet et mille questions en suspens.
Et Diane veut des réponses. Que seul David Sedar peut lui apporter.
Mais dehors, les chiens rôdent…

Ce que j'en pense
Voilà un roman qui se lit d'une traite, ce qui ne fait pas de mal: l'immersion est totale. Le titre veut dire bien des choses et s'enrichit de significations jusqu'à la fin, mais chut! Superbement écrit, le texte nous met d'abord sur une thématique de roman noir, celle de l'exil, des migrants, avec un personnage qui se fait passer pour ce qu'il n'est pas, parce qu'il a une sorte de mission à accomplir, retrouver M. Denis en France. Mais cette thématique est presque un leurre, et l'on bifurque bientôt. On pourrait se dire qu'il s'agit d'un "rural noir" : grande maison isolée, agent de police municipale abruti et nuisible à souhait (qui abat les chiens qui croisent son chemin et qui a des pulsions sadiques bien effrayantes), puissance de la nature en proie au froid et à la neige. Oui mais pas tout à fait. Ou alors c'est un rural noir frotté à l'horreur. David Sedar ne peut guère sortir de la maison, en tout cas de la propriété: à l'extérieur rôdent tous les dangers pour lui, clandestin à la peau noire. Il y a les chiens errants, dont certains auraient la rage, il y a le policier avide de sang et de mort, il y a le froid, qui pourrait avoir raison de lui. Mais le danger n'est pas qu'à l'extérieur : nouvelle bifurcation vers le huis-clos psychologique. Le face-à-face avec la femme de M. Denis est tour à tour rassurant et terrifiant. Qui manipule qui? Qui ment? A propos de quoi? Qui protège qui et de quoi? Où est M. Denis? Là aussi, on aura diverses pistes, divers discours, et aucune vérité définitive ne se dégagera, parce que c'est ainsi, les êtres demeurent des énigmes, gardent leur complexité. Je sais que le roman a troublé nombre de critiques et de chroniqueurs, pour cette raison, leur laissant un goût d'inachevé. Au contraire, j'ai aimé la fin abrupte, qui ne lève pas les voiles, et j'ai aimé ce mélange des genres. Je crois que Jean-Yves Martinez veut nous laisser aussi désarçonnés que ses personnages, incapables de saisir les motivations des uns et des autres, de dire qui a bien ou mal agi, le tout en un volume bref et percutant, comme le sont ces trois petits jours pour David Sedar.



Jean-Yves Martinez, Les enchaînés, Seuil / Cadre noir, 2019

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