Présentation éditeur
Après une longue séparation, un père et sa fille se retrouvent pour emprunter la route du blues entre Memphis et La Nouvelle-Orléans en espérant renouer des relations jusqu’alors chaotiques. S’ils découvrent peu à peu l’envers du décor d’une musique devenue folklore pour touristes, ils apprennent la vérité vraie sur la mort énigmatique de Robert Johnson, figure tutélaire de la musique bleue. Mais le voyage est surtout l’occasion pour le père de s’interroger sur ses crises de migraine, ce douloureux symptôme d’aucune maladie formellement identifiée qui conduit les victimes à entretenir avec le monde un rapport d’observateur misanthrope. Difficile dans de telles conditions de se livrer à des confidences.
Ce que j'en pense
J'avais acheté ce roman à sa sortie et il a enfin trouvé son heure. Une Flèche dans la tête est un road-trip qui doit réunir un père et une fille, chacun hanté par ses propres douleurs, avec comme fil conducteur la route 61, les légendes du blues. Chacun reste une énigme pour l'autre, et le voyage n'y changera rien. De ce père, ancien flic aux RG, elle ne sait pas grand-chose, il est parti trop tôt, alors qu'elle n'était qu'une enfant. D'elle il saisit peu de choses et surtout pas l'essentiel, les failles. Le voyage ne peut les réconcilier, il est un leurre à touristes, car pas plus que l'amour entre un père et une fille ne peut se réinventer, le blues n'a d'existence désormais. Il est devenu une légende, comme la vie de Robert Johnson. La seule chose qui subsiste, ce sont les racines du blues, ses causes, c'est-à-dire les souffrances des noirs américains, toujours les premiers malmenés. Derrière les légendes il y a souvent des choses plus ordinaires qu'on ne l'espère, plus glauques aussi. Le roman va amener les personnages à détricoter toutes les légendes et tous les attendus - et le lecteur fait le même chemin: le blues, la rédemption d'un père, la réconciliation entre le père et la fille, le Sud "authentique".
Mais il y a aussi des instants de grâce, pour peu qu'on s'écarte des sentiers (touristiques) battus: la rencontre avec le Frenchy exilé Olivier et sa famille est l'un de ces magnifiques moments dans le roman, où une communion est donnée à voir. Pour nos personnages en revanche, pas de communion, juste le constat du gouffre creusé, et la possibilité d'aller au bout de soi-même. Pour le père, en s'acquittant de la mission dont il entendait s'acquitter mais dont il n'a pas su parler à sa fille, une mission qui met en jeu le curieux étui à violon qui a donné à celle-ci de se faire son petit film d'espionnage personnel (autre leurre). Pour la fille, il s'agit de prendre une petite revanche sur le sentiment d'abandon qui est le sien, par un double abandon (je ne peux en dire plus).
Ce court roman se savoure, grâce à la finesse de l'écriture de Michel Embareck, musicale, sans pathos, et dieu sait que je me méfie des écrivains férus de musique (surtout jazz et blues), parce qu'à mon sens nombre d'entre eux tombent dans des clichés pénibles. Rien de tel chez Embareck, qui instille une belle mélancolie et permet de refermer le roman avec une forme d'apaisement. Construit comme un morceau de blues, Une flèche dans la tête exhibe la douleur pour mieux la magnifier.
Michel Embareck, Une flèche dans la tête, Joëlle Losfeld Editions, 2019.
2 commentaires:
quel magnifique billet ! j'ai déjà lu deux ou trois trucs sur Robert Johnson du coup, même si tu me tentes, j'ai peur de m'ennuyer ...
Ah c'est sûr que ce n'est pas trépidant ! ;-) Mais c'est une belle lecture.
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