Présentation éditeur
L’histoire incroyable de Jean-Pierre Mazas, lutteur sensationnel qui galvanisa les foules, monstre de foire inouï qui suscita tous les fantasmes, curiosité médicale que les plus grands scientifiques étudièrent à la Pitié-Salpêtrière. Pascal Dessaint s’est plongé dans les registres de l’État-civil, dans les archives départementales de la Haute-Garonne. Il a réuni des dizaines d’articles de presse, des témoignages, des rapports médicaux, des photos, des biographies, des récits, des romans, pour reconstituer le parcours du Colosse, et faire émerger l’homme derrière la figure du héros populaire.
Ce que j'en pense
Un colosse n'est pas un roman mais un récit, un très court récit qui retrace l'itinéraire d'un homme hors-normes, Jean-Pierre Mazas, métayer du XIXème siècle qui avait pour particularité de mesurer 2,20 mètres et d'être d'une force herculéenne.
Ce n'est pas la première fois que Pascal Dessaint sort des sentiers du roman noir, qu'il a toujours empruntés de façon personnelle et souvent atypique, d'ailleurs. Mais Un colosse ne perd pas pour autant deux traits de son écriture (et du noir tel qu'il le pratique) : le sens du social et la puissance tragique. Rien de tonitruant dans son récit, ne vous attendez pas à ce qu'on sorte les violons, tout est sobre au contraire pour dépeindre cette vie extra-ordinaire.
A travers la vie de Jean-Pierre, Pascal Dessaint peint un monde rural, celui des métayers, tout entiers soumis aux propriétaires terriens, notables du XIXème siècle et en ce sens modernes, mais aussi reliquats d'une organisation quelque peu féodale. La scène où Teulade lui rend visite est terrible : peu importe ce qui arrive à Jean-Pierre, ce qui compte, c'est que la terre soit travaillée comme à l'habitude. Jean-Pierre est un outil pour Teulade, qui contribue à sa fortune. Pascal Dessaint n'oublie pas de parler de la noblesse de ce travail de la terre, dans sa dureté même. Les scènes de labour sont très belles, il y a une forme d'harmonie entre l'homme, la bête et la terre.
C'est aussi un monde en pleine mutation, dans lequel, développement ferroviaire oblige, les distances diminuent grâce à la vitesse croissante des locomotives. C'est surtout un monde de spectacle et de médias qui connaît ses premiers sommets. La presse relate les exploits des lutteurs, et le spectacle sillonne les villes et les campagnes. Le public se délecte des combats inégaux, parfois sanglants, et la cruauté n'a rien à envier à nos tristes spectacles télévisuels ou aux débordements des réseaux sociaux. Pascal Dessaint saisit ce moment où naît la société du spectacle moderne, soutenue par l'essor de la presse.
Ainsi, à travers le destin de Jean-Pierre, il donne à voir un XIXème siècle d'avant les terribles conflits mondiaux qui vont déchirer l'Europe, avec une France en proie à des soubresauts politiques qui ne semblent pas avoir d'effets sur la vie de ces gens des campagnes, en tout cas dans les périodes apaisées. La vie de Jean-Pierre est pourtant scandée par les changements de régimes, par les grandes évolutions sociales et les tensions qui aboutissent parfois à des tragédies (Fourmies). Elle reste une "vie simple", celle d'un homme qui ne parle pas ou peu le français, qui ne sait ni lire ni écrire, qui n'est probablement pas armé pour comprendre ce qui lui arrive, et qui est constamment ramené à sa condition, celle d'un homme qui ne s'appartient pas. Métayer, il est gouverné par le propriétaire; lutteur et héros populaire, il est réifié en tant que "colosse"; monstre de foire, il n'est plus que l'ombre d'un homme; et objet d'études médicales, il est certes objet de connaissances plus approfondies, mais toujours ramené à des catégories qui ne permettent pas de le cerner en tant qu'être humain. Somme toute, il est toujours outil ou objet, et nous ne savons rien de ce qu'il ressent, ou pas grand-chose. C'est là qu'est le talent de Pascal Dessaint : il pourrait faire un récit de 300 pages ou plus, habiller de chair romanesque Jean-Pierre. Mais s'il revendique des libertés de romancier, il n'entend pourtant pas faire un roman. Il s'en tient à ce que les documents, les archives lui disent. Et si ces archives ne disent pas grand-chose de qui était l'homme, l'être pensant, douté d'émotions et de sentiments, elles disent beaucoup de la société de l'époque, et Pascal Dessaint a l'excellente idée de se "contenter" de cela, parce que précisément, ce "peu" dit assez que Jean-Pierre Mazas, au fond, ne s'est pas totalement appartenu, qu'il existait dans le regard des autres. Il me semble que Un colosse lui rend un bel hommage, est un beau tombeau littéraire, bien plus puissant qu'une somme de 500 pages qui n'aurait été que le résultat du regard d'un romancier (encore un regard qui façonne en inventant).
Pascal Dessaint, Un colosse, Rivages, 2021. Disponible en poche.
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