mercredi 14 décembre 2022

Bois-aux-Renards d'Antoine Chainas



Présentation éditeur

Un accident de voiture au beau milieu de nulle part laisse une fillette orpheline et estropiée, Chloé, sauvée in extremis par trois hommes et une guérisseuse.
Trente-cinq ans plus tard, Yves et Bernadette, un couple de tueurs en série, sillonnent les routes dans un camping-car Transporter T3 Joker Westfalia en quête d’auto-stoppeuses.
Anna, une gamine témoin de leur premier meurtre de l’été, réussit à leur échapper et se réfugie au cœur d’un bois où une étrange femme boiteuse, entourée de renards, prend soin d’elle.
Dans ce bois vit une communauté coupée du monde moderne, au plus près de la nature et des mythologies du lieu tout en veillant à préserver quoi qu’il en coûte sa tranquillité et sa pérennité.


Ce que j'en pense

Antoine Chainas étant l'un de mes auteurs favoris, j'attendais avec une impatience folle ce nouvel opus, et sans appréhension. Parce que Chainas, soit j'aime, soit j'adore. Plus sérieusement, c'est à mon sens l'une des voix les plus singulières et les plus puissantes du roman (noir) français, un styliste (je ne sais quel mot employer, c'est le moins pire) époustouflant. 

Bois-aux-Renards m'a d'abord saisie par cela : la beauté de l'écriture. Qu'il lance des phrases courtes comme dans l'incipit du roman, qui nous place d'emblée sous le signe du récit mythologique, ou qu'il enroule des phrases qui se déploient comme des racines, des rhizomes, Antoine Chainas fait preuve dans ce roman d'une maîtrise de la langue et du rythme incroyable, époustouflante. La force du verbe de Chainas m'avait déjà saisie lors de ma première lecture de l'auteur, avec Versus (vous rappelez-vous ce début incroyable?), mais je trouve que Bois-aux-Renards change encore d'échelle. 

Sa phrase se fait aussi sinueuse que les lacets de ce monde à part, que les racines des arbres, que les méandres des esprits. Ce qui est certain en tout cas, c'est que l'écriture de Chainas enveloppe comme des volutes de fumée, envoûte, charme et effraie tout à la fois. 

Car c'est Chainas tout de même : âmes sensibles et amateurs de feel-good books s'abstenir. Bois-aux-Renards secoue, dérange, à la fois avec des scènes de pure cruauté et une capacité à remuer ce qu'il y a de plus sombre en l'espèce humaine, sans faire des personnages de bêtes monstres sans chair ni âme. Une fois encore, j'ai eu l'impression qu'à certains égards, il s'amuse avec les codes, les stéréotypes du rural noir tel qu'on nous l'a vendu ces dernières années. La mère qui vit dans des mobile home, perpétuellement en fuite, représentante d'un white trash à la française, Le couple de tueurs sur la route, alliance d'eros et thanatos dans un combi Volkswagen, dont la destinée déraille soudain. Les illuminés un brin survivalistes, en marge de la société dans leurs hameaux désertés. Pour tout vous dire, les meurtres des deux amants terribles m'ont moins glacé le sang que la scène des renardeaux (lisez, vous comprendrez) qui m'a secouée, bouleversée, stupéfiée.

Mais la force de Chainas, c'est qu'il offre un roman à plusieurs niveaux de lecture, l'une balayant l'autre, et il ne s'en tient pas à ce qui pourrait être une aimable blague (et d'ailleurs, il est possible que je me plante complètement en y voyant un jeu malicieux avec des codes déjà éculés). 

Le premier chapitre, bref et saisissant, place le roman sous le signe de la mythologie. Ce Bois-aux-Renards est un non-lieu, un espace où l'on se perd mais où l'on est ramené à quelque chose de fondamental. C'est un lieu de transformation et de dénuement, d'inversion de tout (vous avez vu comme je cause bien ? oui c'est affligeant, "inversion de tout"). Il m'a semblé qu'il y avait quelque chose d'asiatique dans la symbolique liée aux renards : gardiens du puits et de la tour, ils sont les créatures qui mènent les êtres vers une transformation, ils les guident vers LE passage, ils sont omniprésents dans la forêt et dans les contes, mythes et légendes d'Admète. 

Un autre point qui me frappe, c'est la maîtrise de la structure. Sans être complexe à la lecture (jamais on n'est perdu), le roman est virtuose dans la construction, allant d'un personnage à l'autre, dévoilant progressivement les points fondamentaux du récit. A cet égard, Bois-aux-Renards est aussi sinueux que la phrase, avec des récits emboîtés, des retours en arrière insérés dans des moments de paroxysme, comme des pauses en décalage, une mosaïque de points de vue. Et Chainas allie ainsi la puissance de la lecture mythologique et la lecture sociale du roman noir. Puissance dévastatrice de la société capitaliste, aliénation de la consommation et du salariat, face à l'ensauvagement pulsionnel. 

Je pourrais vous parler des personnages, de Chloé et de cette maison à la Frank Lloyd Wright, d'Hermione, d'Admète, d'Anna, et je n'épuiserais toujours ma lecture et les sensations éprouvées.

Je rate sans doute bien des dimensions de ce roman gigogne, que j'ai fini il y a quelques heures. Mais je sais une chose : 2023 démarre fort. 

Sortie le 5 janvier. 


Antoine Chainas, Bois-aux-Renards, Gallimard, La Noire, 2023.

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