Présentation éditeur
Avril 1950. Gringoire Centon est traducteur pour la Série Noire. Parlant mal l’anglais, il fait traduire son épouse en cachette et se contente de transposer le résultat dans un argot approximatif qu’il apprend dans des bistrots mal famés. Désireux de devenir écrivain lui-même, il se laisse entraîner par un drôle d’Américain dans une rocambolesque affaire de truands lettrés, de faux manuscrits et de vrais gangsters, sur fond de guerre culturelle Est-Ouest et de lutte entre anciens et modernes pour la recomposition du Milieu parisien.
Ce que j'en pense
Jubilatoire : c'est le mot qui s'impose avec ce roman et pour des tas de raisons.
Jubilatoire parce que Sébastien Rutès joue en virtuose avec non seulement les codes du roman noir amerloque, ses archétypes, mais aussi avec une encyclopédie qui, si elle n'est pas indispensable, accroît le plaisir de la lecture. Si j'osais ce que certains considèrent comme un gros mot, je dirais que Pas de littérature! est somptueusement méta. En tout cas, je me suis régalée, et ça m'a donné envie de relire les grands aînés américains aussi bien que certains polars amerloques, ambiance whisky, cigarettes et p'tites pépées. On jubile donc en suivant le candide héros du roman, et en lisant les différentes versions des traductions.
Jubilatoire parce que Sébastien Rutès écrit merveilleusement bien, et qu'il se paie le luxe de se moquer de lui-même, à travers son personnage qui a écrit L'urinoir, oeuvre qui ne lui a pas valu la gloire. La Vespasienne (Albin Michel, 2018) n'a peut-être pas rencontré le succès qu'il méritait, mais c'est un excellent roman. Dans le jeu des références tout à fait explicites, il y a aussi un bel hommage à John Amila, alias Jean Meckert. Duhamel fait quelques apparitions furtives, étant donné que Gringoire prend la fuite, lui qui est en retard pour lui remettre une traduction.
Jubilatoire parce que Pas de littérature! nous offre une galerie de personnages qui rappelle, en effet, les polars des années 1950, signés Le Breton, Simonin et consorts, avec ses situations loufoques, ses dialogues hilarants. Jusqu'au bout, l'auteur m'a fait rire, mention spéciale et finale à Dédé le Fondu (rien que le nom !). On est en 1950, ça défouraille sec sur fond de rivalité Est-Ouest, de culture ricaine largement exportée (romans et films), de soft power quoi, avec le spectre de l'Occupation et de ses saletés. Il y a le commissaire, ce "brave" fonctionnaire de police qui continue à fonctionner, en somme, le tout sur spoliation de biens juifs: La Vespasienne n'est pas si loin en effet. Villon hante les pages du roman, ainsi que d'autres figures françaises de la truanderie historique, avec des histoires de manuscrits perdus, vrais ou faux, de truands lettrés et de trafics divers : c'est Le Club Dumas de Perez Reverte en plus marrant, en somme.
Jubilatoire à cause des figures féminines du roman, que j'ai adorées : fille du Sachem, femme de Gringoire, secrétaire de Duhamel, elles sont toutes indispensables à la bonne marche des choses, femmes de l'ombre à la répartie bien sentie.
Jubilatoire enfin parce que mine de rien, Sébastien Rutès pose quelques questions fondamentales sur l'écriture, la traduction, le rapport de la littérature et de l'écrivain au réel. Et il le fait sans pesanteur, avec humour et talent.
Alors peut-être que Pas de littérature! semblera aux yeux de certains un plaisir d'initiés, moi je n'en suis pas si sûre, je pense qu'on peut y trouver sans compte sans connaître les figures et les romans dont il parle, et qu'on peut, à la fin de cette lecture, avoir une furieuse envie de découvrir les polars dont il est question. Et pour ça aussi, on referme le roman le sourire aux lèvres.
Sébastien Rutès, Pas de littérature!, Gallimard La Noire, 2022.
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