dimanche 8 novembre 2020

Little Caesar de William R. Burnett


 

Présentation éditeur

Cesare «Rico» Bandelli, petit truand violent, narcissique et buveur de lait, a pris la place de Sam Vettori, puissant chef d’un gang italien de Chicago. Bientôt, le fils d’immigrés ivre de pouvoir et de reconnaissance agrandit son territoire en faisant main basse sur la contrebande d’alcool, le jeu et la prostitution dans tous les secteurs de la ville. Rien ne lui résiste, sauf un policier irlandais décidé à lui faire payer la mort d’un de ses collègues à l’occasion d’un hold-up qui tourne mal.

Ce que j'en pense

Lire William Riley Burnett, c'est aller vers les origines du roman noir, du hardboiled américain. On comprend en lisant Little Caesar en quoi l'auteur innove : adopter le point de vue des gangsters, leur langue, leur vision du monde, voilà qui est sans aucun doute nouveau en cette fin des années 1920. Il faut dire à quel point cette édition (traduction révisée par M.C. Aubert herself) est remarquable. La préface de Benoît Tadié est lumineuse, et c'est pourquoi je ne dirai pas ici en quoi Little Caesar est un roman important : B. Tadié le fait si bien que je ferais pâle figure. Et puis il y a l'introduction de Burnett lui-même, qui revient en 1937 sur la genèse de sa carrière d'écrivain et de ce roman, et c'est passionnant. C'est donc une édition à acheter absolument, si vous voulez comprendre comment advint le roman noir. 

Et de fait, peu de temps avant le Scarface d'Armitage Trail, Little Caesar inaugure le roman de gangsters, qui est l'un des visages du roman noir américain. Je vous conseille vivement la lecture des deux essais de Benoît Tadié, Le polar américain, la modernité et le mal (PUF, 2006), et Front criminel. Une histoire du polar américain de 1919 à nos jours (PUF, 2018). 

Parfois, lire ou relire un classique de tel ou tel genre, en remontant vers les origines, est un pensum, parce que certaines choses ont vieilli. Bien sûr, Little Caesar est très ancré dans son époque (je pense aux insultes ethniques, sans être certaine qu'elles soient obsolètes, hélas). Mais ce qui m'a frappée, c'est la modernité du roman, qui n'est pas seulement innovant en 1929: il se lit avec un immense plaisir en 2020. La langue, qui délaisse la préciosité littéraire made in UK du début du XXème siècle, modèle dominant pour les auteurs états-uniens, laisse ici la place à une écriture vive, acérée, débarrassée du "beau langage" et des notations psychologiques. Le behaviorisme s'annonce et il s'annonce bien. Et puis Burnett a un sacré sens du rythme : dans ce roman très ramassé, l'ascension et la chute de Rico sont saisies sans temps mort, et l'on tourne les pages avec avidité. 

Le monde selon Rico et les autres est un monde capitaliste décomplexé, déjà : tout s'achète (les silences, les complicités politiques), tout se vend, pourvu que ça rapporte. On lutte pour décrocher des marchés, autrement dit on met la main sur des territoires (des quartiers), on se débarrasse de la concurrence, des poids morts, des has been et des mous, potentiels dangers. On achète les signes extérieurs de richesse et de respectabilité (la bibliothèque remplie de vrais livres de Big Boy...), et on ne raisonne qu'en termes de pertes et de profits, y compris dans les relations sociales. 

Bref, toutes les raisons sont bonnes pour lire Little Caesar et redonner à Burnett la place qui est la sienne. 


William Riley Burnett, Little Caesar, Gallimard, Série Noire, 2020. Traduit de l'anglais par Marcel Duhamel, révisé par Marie-Caroline Aubert. Préface de Benoît Tadié. 



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