jeudi 6 août 2020

Lune noire d'Anthony Neil Smith


Présentation éditeur
Une vision toute particulière de la justice et de la morale a valu à Billy Lafitte d’être viré de la police du Mississippi. Il végète aujourd’hui comme shérif adjoint dans les plaines sibériennes du Minnesota, avec l’alcool et les filles du coin pour lui tenir compagnie, les laboratoires clandestins de meth pour occuper ses journées. Si Billy franchit toutes les lignes, on peut néanmoins lui reconnaître une chose : il a un grand cœur. Ainsi, lorsqu’une amie lui demande de tirer d’affaire son fiancé, impliqué dans une sale affaire de drogue, c’est bien volontiers qu’il accepte. Quelques jours plus tard, Billy est arrêté par le FBI, enfermé dans une cellule au milieu de nulle part, et sommé de s’expliquer sur tous ces cadavres qui se sont soudain accumulés autour de lui.

Ce que j'en pense 
Voilà un moment (depuis sa sortie) que Lune noire patientait dans mon stock. Assurément, avoir noué des liens - même virtuels - avec Anthony Neil Smith sur Facebook l'a fait remonter dans mes piles : et vous savez quoi? tant mieux! Bon sang que j'ai passé un bon moment! D'ailleurs j'ai déjà acheté le volume suivant, que je garde en réserve pour un moment difficile. Car c'est la première chose que j'ai envie de souligner : Lune noire, c'est du hardboiled pur jus et totalement addictif, un page-turner, comme on dit désormais. Rythmé en diable, avec un savant mélange entre les codes du noir et des surprises, Lune noire est difficile à lâcher, et par Zeus, en ce moment, j'ai besoin de ça. C'est jubilatoire. 
Billy est un anti-héros en clair-obscur, un sale type que l'on aime, notamment parce qu'il a une bonne dose de lucidité et ne se repeint pas en rose. En tout cas je l'ai aimé tout de suite, avec ses turpitudes et son humanité, son regard sarcastique, son désenchantement radical. Et j'apprécie ce que Anthony Neil Smith en fait : pas de rédemption à la noix, pas de pathos, pas de sauvetage de demoiselle en détresse, le roman va au bout de la noirceur. J'ai lu qu'on compare l'auteur à Crumley, il y a de ça, dans la désespérance et dans le côté un peu destroy du personnage. Mais le roman a son ton, et c'est très bien comme ça. 
C'est l'ensemble de la galerie de personnages qui est parfaitement réussie : des "petits" personnages, comme Layla, par exemple, aux plus importants, comme le beau-frère, qui prend en épaisseur et en complexité. Et l'intrigue est très bien construite : complexe sans être absconse, équilibrée et fluide, impeccable. On en redemande! Les dernières lignes valent le détour : et si Anthony Neil Smith n'avait pas écrit d'autres romans avec Billy, on ne saurait que penser...
Et j'aime le ton de ce roman, sa façon de fustiger l'hypocrisie, les valeurs traditionnelles de la famille occidentale (et américaine), la norme sociale. C'est aussi du noir : il y a un regard social sur le monde comme il va, sur ce coin tranquille mais plein de paumés du Minnesota, gangréné par la pauvreté et le trafic de meth, qui semble la seule porte de sortie pour une jeunesse de laissés-pour-compte, souvent plus abrutis que la moyenne mais aussi tout simplement dénués d'avenir. Il y a aussi un regard social et politique, plein de dérision et d'humour, sur les institutions, sur ce que certains agents sont prêts à faire au nom de la lutte pour la "liberté". Mais Rome vaut-il mieux que les Malaisiens barjots et les barbus qui veulent mettre l'Amérique à feu et à sang, lui qui est animé par une rage toute personnelle envers Billy? 
Ce mélange entre jeu avec les codes, refus de se prendre au sérieux et authentique roman noir avec ce que ça suppose, à mes yeux, de lucidité et de profondeur, m'a vraiment séduite. 
Alors bien sûr, ça ne donne pas très envie d'aller dans le Minnesota, mais tout de même, c'est ainsi que l'Amérique est grande. 

Anthony Neil Smith, Lune noire (Yellow Medicine), Sonatine, 2019. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau. 




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