samedi 10 novembre 2018

Lectures d'octobre 2018

On se rapproche, on se rapproche...

François Médeline, Tuer Jupiter, La manufacture de livres
Autre sensation de la rentrée, malin et fort. 

DOA, Lykaia, Gallimard
"Après avoir dévoré en un week-end le monumental (dans tous les sens du terme) Chainas, je viens de passer celui-ci en compagnie d'un autre très grand du roman noir à mes yeux, DOA. Je n'avais rien lu sur le roman avant d'entamer ma lecture (je savais juste qu'il évoquait l'univers du BDSM) et je n'ai rien lu/entendu en commençant ces lignes, ni chronique, ni critique, ni interview. Je veux rester saisie par ma lecture en toute subjectivité. 
Première remarque, la plus évidente: difficile de lâcher le bouquin quand on a plongé dedans. Lykaïa m'a happée tout de suite, et pourtant la scène d'ouverture est insoutenable. Mais la beauté de l'écriture est stupéfiante, une mélopée vénéneuse qui redonne tout son sens à l'expression les "fleurs du mal". Certes, il faut avoir le coeur bien accroché pour supporter certaines scènes: celle du début et celle de la fin (dans l'appartement vénitien) m'ont pétrifiée d'horreur et de dégoût. J'ai pensé à Bataille, plus qu'à Sade. Cependant, je n'ai jamais songé à poser définitivement le livre (juste le temps de remettre mon estomac à l'endroit). J'étais tombée dès le début sous le charme - même si le terme semble totalement niais ici - des protagonistes. Le roman alterne les points de vue de deux personnages : la Fille, qui ouvre le récit, dans une narration à la troisième personne, et le Loup, à la première personne. Je les ai aimés tous les deux d'emblée, et peut-être est-ce un contresens, mais j'ai lu Lykaïa comme une histoire d'amour entre ces deux-là, et cet amour est déchirant, bouleversant. 
DOA surprendra sans doute ceux qui l'ont découvert avec Pukhtu, mais j'y retrouve pourtant son univers. Est-ce un roman noir? A mes yeux, assurément. Pour ceux qui chercheraient des codes et des thématiques, regardez-bien: il y a bien déviance criminelle et même meurtre. Mais là n'est pas l'essence du roman noir, n'est-ce pas? Je ne sais pas si le cul est politique (pour moi, oui, d'ailleurs, everything is political, isn't it?), mais le roman et les trajectoires des personnages interrogent le rapport à l'autre, à soi, à la norme. Il y a dans Lykaïa une inquiétude sadienne. Sade n'était pas le chantre de la libération des pulsions, me semble-t-il (et encore moins de la révolution). Il exprimait une inquiétude fondamentale: qu'advient-il quand on libère les pulsions? Du sang, de la souffrance, de la mort, l'aliénation de l'autre et à l'autre. Oh! on en jouit, c'est vrai. Le Loup et la Fille ne peuvent bientôt plus se passer l'un de l'autre, leurs pratiques sexuelles, aussi consenties soient-elles, restent un rapport d'aliénation autant que de libération. Et puis il y a dans le roman ce jeu de masques, qui signifie tant. Le roman ne pouvait se terminer qu'à Venise, ville des masques, des faux-semblants et de la corruption, ville des touristes et des perches à selfie. Les adeptes du BDSM n'échappent pas à la mise en spectacle des corps et du sexe, le roman s'ouvre sur une performance et à Venise, on applaudit aussi une mise en scène sexuelle. On se regarde jouir, on se regarde souffrir. J'insiste sur la forme pronominale : il est peu question de voyeurisme dans le roman, plutôt du rapport à soi à travers l'autre. 
Le final de Lykaïa est tragique et somptueux, le Loup achève de se perdre, paradoxalement, dans une rédemption que l'on espérait un peu. 
En conclusion, si vous voulez être émoustillé ou frémir devant des scènes de cul hors norme, passez votre chemin : allez sur les sites dédiés à cela sur le net, ce sera plus dans le sujet, croyez-moi. Mais si vous voulez être bousculé, bouleversé par des personnages magnifiques et sidérée par une écriture somptueuse et jamais dans la recherche de l'effet, prenez le risque et lisez Lykaïa. 
Pour finir : mention spéciale à l'objet lui-même, somptueux écrin noir. Chapeau, Gallimard!"

André Héléna, Les flics ont toujours raison, Les salauds ont la vie dure, Le festival des macchabées, Le goût du sang, 10/18
Petite plongée dans les débuts du roman noir français. Héléna est avec Meckert/Amila et Malet le père du roman noir français. Si la misogynie est assez pénible, il faut lire le portrait sans concession de la France de l'Occupation que livre l'auteur. Un réquisoire contre la peine du mort dans Le goût du sang. Très bon...

David Lagercrantz, La fille qui rendait coup sur coup, Actes Sud, Actes Noirs
Pff... 

Joe Lansdale, Honky Tonk Samouraïs, Denoël
Du roman divertissant de grande qualité. Jubilatoire, on castagne, les dialogues claquent, fan forever...

Serge Quadruppani, Sur l'île de Lucifer, La Réserve sauvage
Moins fort que Loups solitaires mais bien plaisant, féroce et politique toujours, le nouveau Quadruppani, à lire!

Jacky Schwartzmann, Pension complète, Seuil 
"J'avais déjà ri avec Demain c'est loin, mais Pension complète est encore meilleur, à mon sens. Pas facile, la comédie noire, et en France, ils ne sont pas si nombreux à exceller dans ce registre. Pour moi, Jacky Schwartzmann est le meilleur, je ne trouve jamais le trait forcé (la recherche du bon mot à tout prix peut m'agacer très vite), et son humour n'est jamais condescendant, ce qui n'est pas facile. J'ai tout de suite aimé Dino et Lucienne, tout de suite cru en leur histoire d'amour, et si j'ai trouvé la peinture au vitriol du Luxembourg irrésistible, c'est quand le personnage arrive au camping que j'ai commencé à rire tout haut, et nom de Zeus ça fait du bien. Evidemment, les enfants des années 80 comme moi visualisent tout de suite Charles en Higgins, et l'image ne m'a plus lâchée. 
Comme dans le précédent opus, ça claque, ça fuse, l'auteur a le sens de la formule, comme dirait l'autre, et mine de rien, il égratigne au passage les travers de notre époque (le tourisme humanitaire, que j'ai ri!), la norme sociale. Mais il s'agit avant tout de s'amuser dans ce roman noir où "l'enfer, c'est les autres". Et Charles a sa manière bien à lui de surmonter cela.
Rythme parfait, rapidité, fluidité : j'ai lu le roman en une fois ou presque (j'avais lu les premières pages la nuit précédente), on ne s'ennuie pas une seconde et le dénouement, mazette! le dénouement... chut....
Voilà, c'est Pension complète de Jacky Schwartzmann, c'est au Seuil dans la collection Cadre Noir."

Gabrielle Filteau-Chiba, Encabanée, XYZ
Court roman qui fait un bien fou quand nos contemporains nous fatiguent, une réclusion volontaire, un retour à l'essentiel. Magnifique. 

Sylvain Kermici, Requiem pour Miranda, Les Arènes Equinox
Déconcertée par ce roman, très bien écrit, très bien mené, mais dont je ne saisis pas l'enjeu. Documenter le mal? Je partage complètement la perplexité de Jean-Marc Laherrère. 


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