samedi 18 février 2017

Un peu tard dans la saison de Jérôme Leroy


Présentation éditeur
C’est aux alentours de 2015 qu’un phénomène inexpliqué et encore tenu caché s’empare de la société et affole le pouvoir. On l’appelle, faute de mieux, l’Éclipse. Des milliers de personnes, du ministre à l’infirmière, de la mère de famille au grand patron, décident du jour au lendemain de tout abandonner, de lâcher prise, de laisser tomber, de disparaître. Guillaume Trimbert, la cinquantaine fatiguée, écrivain en bout de course, est-il lui aussi sans le savoir candidat à l’Éclipse alors que la France et l’Europe, entre terrorisme et révolte sociale, sombrent dans le chaos? C’est ce que pense Agnès Delvaux, jeune capitaine des services secrets. Mais est-ce seulement pour cette raison qu’elle espionne ainsi Trimbert, jusqu’au cœur de son intimité, en désobéissant à ses propres chefs?
Dix-sept ans plus tard, dans un recoin du Gers où règne une nouvelle civilisation, la Douceur, Agnès observe sa fille Ada et revient sur son histoire avec Trimbert qui a changé sa vie au moment où changeait le monde.

Ce que j’en pense
Nous sommes en février et voilà mon premier « livre de l’année ». Non, c’est peut-être plus que cela : un livre qui pourrait m’accompagner pour bien plus longtemps, qui m’a chamboulée, bouleversée…
Je pourrais saluer la maîtrise dans la construction de l’intrigue. On suit avec un intérêt grandissant les deux voix qui composent le roman, qui s’entremêlent de plus en plus. J’avais du mal à lâcher le livre.  Mais il y a plus.
De Jérôme Leroy je connais deux facettes : le romancier pour ados, avec La grande môme et Norlande, que j’ai aimés ; l’auteur de romans noirs, avec Le Bloc et L’ange-gardien, deux romans forts et terribles sur nos dérives politiques. Je reconnais cet aspect de son écriture dans Un peu tard dans la saison, qui oscille entre spéculation (à peine…) et fiction noire. Une fois encore, il livre une photographie pessimiste et juste (à mon sens) de notre société. La France et le Paris qu’il évoque sont en proie à deux facteurs de chaos qui signent la fin d’un certain état du monde. Il y a les attentats et la dictature policière et armée qui ne dit pas son nom : le pays sombre dans le chaos, sur fonds de massacres divers et variés (les attentats mais aussi les assassinats d’état) et d’émeutes, de révolte sociale, comme un sursaut avant la fin. En forme de réponse à cela mais aussi à une sorte de fatigue plus existentielle, l’Eclipse. Le phénomène touche la population à tous les niveaux, du simple enseignant au ministre en passant par un officier des services secrets : un jour, ils disparaissent, ils lâchent tout, et cela, bien plus que le reste, déstabilise le pays, en le privant de ses forces vives, de ses forces d’appui, au point que l’Etat s’en inquiète… Pour tout cela, Un peu tard dans la saison est un roman noir, tout en subtilité, d’une puissance folle.
Et puis c’est aussi une manière d’auto-portrait : Guillaume Trimbert, l’écrivain fatigué, ressemble sur bien des points biographiques à Jérôme Leroy. D’autres figures parcourent le roman et lui donnent des allures de roman à clé. Je ne connais évidemment pas Jérôme Leroy, mais j’ai aimé ce mélange d’auto-dérision et de tendresse. Il y a dans Un peu tard dans la saison une nostalgie, mais pas une nostalgie qui sent le rance, non, quelque chose qui est de l’ordre du temps et du souvenir partagés.
Pour tout ce que je viens d’évoquer, ce roman m’a bouleversée, touchée au cœur. Je finis cette chronique par une notation subjective, pardonnez-moi. D’abord, quoique n’ayant pas tout à fait l’âge du personnage de Trimbert, je reconnais ce passé dont il parle, une sorte de temps partagé, comme je disais, et il y a aussi un rapport aux lieux qui m’a touchée. La saudade de Lisbonne, les échappées et les moments qui composent une vie, les rencontres : forcément, on se reconnaît un peu à travers Trimbert, même lorsqu’on est très différent. En tout cas, je me suis reconnue, dans ce rapport à la littérature, aux voyages, aux moments de bonheur très fugitifs et dont le souvenir serre parfois le cœur. Ensuite, il y a l’Eclipse : qui n’a pas rêvé d’échapper à sa vie, à la vie, à tous ces pièges qui nous entourent et nous attachent ? qui n’a pas eu envie de se détacher de tout ça, de disparaître pour devenir plus léger ?
Pour toutes ces dimensions qui se mêlent et qui composent le roman unique qu’est Un peu tard dans la saison, je sais que je relirai ce qui pourrait devenir un des livres importants de ma vie, comme l’est par exemple Quartier perdu de Modiano. Je ne regrette pas d’être passée à Page et Plume ce mercredi de février où Jérôme Leroy était en dédicace. Je n’ai pas encore lu Macha ou l’évasion, acheté au même moment, mais le titre me promet déjà beaucoup…

Jérôme Leroy, Un peu tard dans la saison, La Table Ronde, 2017. Disponible en ebook.

                                               

2 commentaires:

Electra a dit…

quelle belle déclaration d'amour que ce billet ! toujours un plaisir de te lire. Je trouve cependant le sujet un peu trop grave. Ces temps-ci, j'ai besoin de lumière, d'espoir. Je passe mon tour.

livresetbonheurs a dit…

Voilà qui donne trèèèèèèèèèèèès envie de le lire !!