lundi 9 mars 2015

La gaieté de Justine Lévy


Présentation
« C'est quand je suis tombée enceinte que j'ai décidé d'arrêter d'être triste, définitivement, et par tous les moyens. On se connaissait depuis quoi ? trois, quatre jours ? et Pablo m'a dit qu'il voulait un enfant, un chien, une maison et une bière bien fraîche, là, maintenant, tout de suite. Je lui ai servi la bière, j'en avais plusieurs packs d'avance pour maman, mais pas au frigo, maman précisait toujours pas trop fraîche s'il te plaît, avec un petit sourire qui voulait dire c'est comme ça que je l'aime, moi, la bière, pas trop fraîche, comme si c'était une affaire de goût, alors qu'en fait elle ne pouvait plus supporter le froid, à cause de ses dents toutes pourries. »
Ce sont les premières lignes du roman. Louise est maman et elle a décidé de ne plus se laisser aller à sa tristesse. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, car la maternité la ramène à sa propre enfance, à sa propre mère, à la source de tous ses maux. 

Ce que j’en pense
Il y a quelques temps déjà, j'avais entendu une salve de critiques assassines sur le dernier roman de Justine Lévy, La gaieté, au Masque et la Plume, et le seul avis positif de l’assemblée ne m’avait pas convaincue. J’avais quasiment oublié ce roman, et puis les hasards de mes pérégrinations m’ont menée chez quelqu’un qui possédait le volume, que j’ai saisi lors d’une nuit difficile. 
Sans aucun doute, ce n’est pas l’autofiction la plus intéressante que j’ai lue, et sans être une spécialiste de ce genre aux contours délicats, je peux dire que Justine Lévy ne fait pas avancer la réflexion sur cette forme littéraire. Bien entendu, si l’on ne supporte les explorations autocentrées, si l’on exècre les parcours des petites filles des beaux quartiers en souffrance, mieux vaut passer son chemin. Bref, La gaieté est une lecture dispensable, à bien des égards. 
Pourtant, la cruauté des commentaires de l’assemblée du Masque et la Plume me semble tout autant liée au pedigree de la jeune femme, fille de, ex-femme de, qu’à ses défauts propres. Et cela me gêne un peu. Certes, on ne peut lire un livre sans faire totalement abstraction de son auteur, surtout quand celui-ci fait le choix de l’autofiction. Mais le livre a aussi son existence, indépendamment de cela. 
Vous l’aurez compris, j’ai éprouvé un intérêt certain à cette lecture, pour diverses raisons. L’écriture m’a séduite, cet espèce de flux intérieur savamment maîtrisé permet une exploration fine des états du personnage, l’alter ego romanesque Louise, aussi bien dans l’évocation de la souffrance, de la tristesse pathologique que de la drôlerie. J’ai donc adhéré sans réserve au choix stylistique de ce flux autocentré, même si je comprends qu’il puisse irriter. 
Surtout, j’ai été touchée par le mélange de souffrance et de drôlerie exprimé par Justine Lévy. Le titre est bien entendu un leurre, car la maternité du personnage est l’occasion de se confronter à sa propre enfance, de lever certains voiles, de retrouver certains pans de mémoire occultés car trop difficiles à regarder en face. Rien d’original me direz-vous dans cette démarche, mais c’est fait avec pudeur et force, et j’ai souvent été touchée. Au-delà de l’évocation personnelle, Justine Lévy parvient, je trouve, à conférer à ce qui pourrait être un déballage égotiste une dimension plus universelle, comme doit le faire toute autofiction littéraire. Le lecteur (la lectrice) trouve des échos à ses propres interrogations, à ses propres failles, même s’il ne partage pas le moins du monde l’expérience relatée. 
Et puis Justine Lévy est impitoyable avec elle-même, et c’est souvent drôle. Louise se sait insupportable par instants, dans sa fragilité et ses angoisses, elle se sait incapable de se comporter « comme tout le monde » en société (la fête hilarante où elle ne sait où se mettre, j’adore et je sais d’expérience…), elle se voit comme on peut la voir, « fille à pôpa ». J’ai souvent souri, je la trouve drôle, grinçante, peu complaisante avec elle-même. Je me dis que j’aimerais la connaître, sa Louise, qu’elle mérite d’être connue. 
J’ai passé un joli moment avec La gaieté. J’ignore si je lirai un autre roman de Justine Lévy, mais je ne regrette nullement d’avoir lu ce livre. 


Justine Lévy, La gaieté, Stock, 2015. 

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