Présentation
Le 22 juin 1958, Geneva Hilliker, alias Jean Ellroy, est assassinée,
laissant un orphelin de 10 ans et beaucoup de questions. Ma part d’ombre fait
le récit d’une double enquête (celle de l’époque, celle de l’auteur adulte et
d’un policier de la brigade criminelle de Los Angeles), mais aussi d’une
trajectoire de perdition dans une Amérique violente.
Mon avis
Je connais peu l’œuvre d’Ellroy, même si j’ai lu plusieurs fois Le Dahlia noir, que je trouve superbe.
C’est un peu par hasard que j’ai acheté Ma
part d’ombre il y a quelques mois. Dès les premières pages, ce récit m’a
happée pour ne plus me lâcher, j’interrompais ma lecture à regrets, impatiente
d’y retourner, et ne cessant guère d’y penser entre deux moments de lecture.
On connaît l’histoire tragique de ce romancier et surtout de sa mère, assassinée
en 1958. Ma part d’ombre est à la
fois un hommage rendu à cette femme et le récit d’une lente chute suivie d’une
progressive rédemption, d’une réconciliation de James Ellroy avec sa mère, avec
lui-même. Le récit est structuré en diverses parties : dans la
première, il évoque le meurtre et l’enquête qui l’a suivi, à la troisième
personne, avec une distance saisissante. Les faits, les hypothèses, les
impasses de l’enquête : voilà tout. Puis une longue partie à la première
personne évoque la plongée en enfer de l’auteur, de son enfance à l’âge adulte.
James Ellroy est hanté par sa mère, par Elizabeth Short (le Dahlia noir), il se
construit en tant qu’adulte sur des visions de cauchemar, sur des fantasmes de
violence et de mort, dans la haine – ambiguë – de sa mère. Il se construit, ou
plutôt il se détruit avec méthode. De cette trajectoire terrible naît un
écrivain. Puis on passe à une époque bien ultérieure et au policier,
Stoner, avec lequel James Ellroy va reprendre l’enquête, qui n’aboutira pas non
plus mais qui éclairera quelque peu la vie de sa mère, qui lui permettra
surtout d’affronter ses fantômes, de réécrire sa propre histoire familiale.
Le récit est d’une puissance folle. Jamais un brin de pathos :
Ellroy a une écriture clinique, distanciée, presque comportementaliste par
moments. Il parle de lui – que ce soit à la première personne ou à la troisième
personne – sans complaisance, avec lucidité, sans se faire de cadeau. On sait
que le personnage joue publiquement de ses zones d’ombre, il passe volontiers
pour un excité facho : à lire La
part d’ombre, on voit bien comment il en arrive à cette posture. La force
de son écriture fait que, sans qu’il y ait la moindre volonté de jouer la carte
du sentiment, on est bouleversé par Geneva Hilliker, alias Jean Ellroy. De la
pochtronne en quête d’aventures d’un soir du début, on passe peu à peu à une
femme secrète et désireuse d’échapper à quelque chose ou à quelqu’un, et elle
apparaît au fil du récit dans toute sa beauté, dans toute sa complexité.
Mais au-delà, ce qui m’a immédiatement saisie, c’est le propos très
fort, qui s’affirme dès les premières pages, sur une société américaine bouffie
de violence, en particulier envers les femmes. James Ellroy le signale plus
loin dans son récit : il ne faut pas céder à la tentation, tout aussi
suspecte, de faire de toutes les femmes des victimes. Cependant, dans le Los
Angeles qu’il dépeint, les femmes paient un lourd tribut, elles subissent la
volonté de puissance, les pulsions violentes de ces hommes. Aucun propos
démonstratif, didactique : la brutalité des faits, plutôt, l’interminable
énumération des crimes, des meurtres.
Au final, Ma part d’ombre
m’est apparu à la fois comme un chant élevé à la mémoire d’une femme disparue
et comme une leçon d’écriture. J’en ressors bouleversée, un peu sonnée, je sens
bien que je n’ai pas fini de penser à Jean Ellroy.
Pour qui ?
Pour tous ceux qui ont envie de découvrir Ellroy.
Le mot de la fin
Un chant funèbre.
James Ellroy, Ma part d'ombre (My Dark Places), Rivages/Thriller, 1997. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Freddy Michalski. Disponible en Rivages/Noir.
7 commentaires:
Toujours pas lu Le Dahlia Noir. J'ai l'impression que c'est mieux de commencer par là avant d'attaquer ce livre; je me trompe?
Pas indispensable mais je pense que c'est mieux, en effet. Et le livre est infiniment meilleur que le film.
Il faut absolument que je le lise celui-ci ! J'en ai beaucoup entendu parlé et j'adore Ellroy, donc cela s'impose ! Ton avis accentue cette envie.
As-tu lu la série des Underworld USA (je déforme mais tu comprendras)? J'hésite à me lancer.
Avant le conseillerais bien le quatuor LA, avec le magnifique LA confidential (et après il faut regarder le Mesplède pour tous les titres).
Non, il faut que je la lise ! Ma mère à le premier, il faut que je lui pique ^^
Et j'ai bien envie de relire le Quatuor de Los Angeles....
@ Jean-Marc : tu as raison, d'autant que j'aimerais bien voir ce que donne "en vrai" L.A. Confidential; j'ai vu et aimé le film.
@ Shelbylee : toi aussi, alors, le Quatuor, sans hésitation! Ah la la, faut vraiment que je me mette sérieusement à Ellroy. J'ai du mal à passer à autre chose, depuis!
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