vendredi 26 octobre 2012

La blonde et le bunker de Jakuta Alikavazovic


Présentation
Trois personnages principalement : Anna, la blonde, John, son mari, écrivain célèbre pour un seul roman, et Gray, l’amant. Ils cohabitent dans une maison d’architecte, le bunker : Anna au rez-de-chaussée, John dans le sous-sol, Gray étant le seul à réellement déambuler dans les deux espaces, comme par effraction dans tous les cas.
Quand John meurt, par voie testamentaire, il met Gray sur la piste d’une mystérieuse collection d’art, qui se dérobe sans cesse.

Mon avis
C’est un curieux roman que La blonde et le bunker : le titre claque comme un titre de roman noir, et ce pourrait être aussi, je trouve, un titre de Jean Echenoz (sans doute parce qu’il me fait penser aux Grandes Blondes, tout bêtement). Des stéréotypes du genre, il en est d’ailleurs question à plusieurs reprises – l’assistante du professeur, vers la fin du roman, semble tout droit sortie d’un film noir. J’avais entendu parler de ce roman par une critique dans Les Inrockuptibles, mais en feuilletant le roman dans une librairie, je n’avais finalement pas été tentée. C’est le billet de Brize qui a éveillé à nouveau ma curiosité. Cette curiosité n’a pas faibli tout au long de ma lecture.
Ce bref récit est construit comme un puzzle, qui par bien des aspects se dérobe, comme la collection Castiglioni. De nombreuses pistes sont esquissées, suscitant un instant l’attente du lecteur, sans la décevoir réellement puisque l’intérêt du lecteur est aussitôt orienté vers autre chose… John est mort mais que s’est-il passé ? Qu’est devenue Anna ? Voici quelques questions qui restent en suspens. Pour autant, comme le souligne Brize, le roman ne frustre pas son lecteur, offrant une clôture qui à défaut d’être pleinement satisfaisante donne des explications, par une pirouette intéressante, intelligente et pleine de sens.
J’ai particulièrement aimé la réflexion sur l’art que propose le roman, sur la conservation, sur l’évaporation des œuvres… Ce n’est jamais pesant. Les chapitres qui évoquent la photographie présente à l’étage (au sous-sol) de John m’ont captivée : comment construit-on une œuvre, mais aussi une représentation de soi ? Il y a quelque chose dans la construction, dans le côté très cérébral de ce récit,  qui m’a fait penser au Nouveau Roman, notamment à La Jalousie (peut-être à cause du triangle amoureux). Le roman se tisse à partir de fils narratifs qui s’entrecroisent savamment, se font écho, comme l’évocation de la photographie (des photographies, devrais-je dire), ce qui m’a fait penser aux scènes qui reviennent, comme des leitmotivs, dans le roman de Robbe-Grillet, avec de légères variations. Les descriptions – du bunker, par exemple – m’ont également fait penser à la précision glacée et superbe de certaines descriptions de Robbe-Grillet ou de Butor.
Pour autant, n’allez pas penser qu’il s’agit d’un roman froid, qui écarte le plaisir du récit dans des constructions formelles (formalistes) alambiquées : dès les premières lignes, je me suis sentie happée, j’avais envie de savoir ce qu’il en était, et l’auteure s’y entend pour instaurer une forme de tension narrative.
C’est séduisant, intelligent, et je crois qu’à l’occasion, je jetterai un œil aux autres œuvres de cette auteure singulière (son précédent roman vient de sortir en poche)…
Merci à Brize pour cette découverte et pour le prêt !

Pour qui ?
Pour ceux qui ont envie d’un roman singulier, différent, et quelque peu cérébral.

Le mot de la fin
Singulier.

Jakuta Alikavazovic, La blonde et le bunker, Editions de l’Olivier, 2012.

7 commentaires:

Brize a dit…

Ah, mais quand je lis ton billet, je suis ra-vie de t’avoir prêté ce roman  !
Je t’avais dit par mail que je n’avais pas osé évoquer le Nouveau Roman dans mon billet, le livre m’y avait fait penser, mais mes lectures dataient trop pour que je puisse cerner précisément d’où me venait cette impression. Voilà donc ce point éclairci et j’aurai (quand ? la Miss est débordée !) encore un autre écho à ce sujet, de la part de ma fille cadette qui a lu aussi des auteurs du Nouveau Roman.
C’est vrai qu’on se demande comment John est mort, mais chez moi cette question a fini par passer au second plan, le mystère de la Collection prenant le dessus. Et j’aime bien quand tu parles de « pirouette » à ce sujet, c’est tout à fait ça.
En tout cas, ce roman t’a plu (mais, même si je ne connais la lectrice que tu es que depuis peu de temps, j’étais quasi-certaine que ce serait le cas) et je m’en réjouis, c’est toujours très agréable de partager ses lectures et quand elles sortent de l’ordinaire, ce n’est pas si évident que ça. Je pense qu’une de mes nièces, qui a fait des études d’art précédées d’une prépa littéraire, devrait aussi aimer, donc je vais lui en offrir prochainement (je sens que je n’aurai pas le courage d’attendre Noël !) un exemplaire.
Comme toi, je suis curieuse de continuer à découvrir l’auteur (merci aux Inrocks, c’est aussi chez eux que j’avais noté ce titre ; et Télérama en a parlé il y a peu).

Anonyme a dit…

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Tasha Gennaro a dit…

Brize, tu me diras ce qu'en pense ta nièce, lorsqu'elle le lira. Je suis en effet curieuse de savoir ce qu'en dit quelqu'un qui a un regard plus averti que le mien sur le milieu de l'art et sur certaines questions qui se posent dans ce domaine (conservation, exposition, disparition). En tout cas, c'était une belle découverte, merci!

Emeraude a dit…

Le billet de Brize m'a aussi beaucoup tentée (et un autre billet sur le blog de secondflore), alors j'ai passé le cap et j'ai beaucoup aimé cette lecture mais je l'ai mal lu. C'est à dire que je ne l'ai lu que dans les transports, alors que j'aurai du prendre une ou deux soirées et me plonger entièrement dedans.
Du coup je n'ai pas osé faire un billet, sachant pertinemment que ce que j'en dirai n'arriverai pas à la cheville du roman et ne donnerai envie à personne, puisque j'en parlerai mal.
Tu en parles magnifiquement bien et réussit à mettre des mots sur certaines choses qui n'avaient fait que m'effleurer.
Je ne sais pas ce qui m'a le plus plu dans ce roman : les relations étranges entre les trois personnages, les réflexions sur l'art (notamment la photographie), le côté enquête policière, le fait qu'un tout petit bout se passe à Venise mais en huis clos total...
Merci à toi d'en avoir fait un si beau billet, ça me donne envie de le relire, d'une meilleure manière cette fois-ci !

Tasha Gennaro a dit…

Merci! Tu as raison pour le côté Venise/huis clos, j'ai d'ailleurs adoré ce passage. C'est un roman vraiment intéressant!

Moka a dit…

Je me souviens m'être dit en lisant plusieurs billets "tiens, pourquoi pas". Merci pour le rappel !

Tasha Gennaro a dit…

Je t'en prie ! :-)