Présentation éditeur
1974, cinq lycéens, la tête pleine de rêves fumeux, abattent par erreur un passant alors qu’ils pensaient agir comme leurs « héros », les membres d’un groupe anar qui venait d’enlever un banquier espagnol à Paris.
Lorsque, quarante-cinq ans plus tard, l’un d’eux commence à recevoir anonymement le récit de leur histoire, il part à la recherche de ses anciens camarades.
Au gré d’une déambulation nostalgique entre passé et présent, le narrateur reconstitue enfin toutes les circonstances du drame.
La photographie sépia d’un pan des seventies et leur cortège de fantômes.
Ce que j'en pense
Patrick Pécherot est une voix qui compte à mes yeux dans le roman noir français. Il explore les fractures de l'Histoire du XXème siècle et ce nouvel opus s'empare d'une période plus récente, les années 1970. Je me réjouis que le roman français aborde cette époque, trop peu envisagée me semble-t-il jusqu'alors, mais il est vrai qu'il faut un peu de recul.
Patrick Pécherot oscille entre nostalgie et recul critique à travers son narrateur, et nous regardons avec lui ces photos de l'époque, ces instantanés, et peu importe que nous ayons vécu tout cela ou pas. Années d'utopies, d'idéaux plus ou moins bien digérés, d'errements, d'erreurs, d'impasses, les années 1970 furent riches d'enseignements douloureux pour les personnages du roman. Les modalités de l'engagement sont questionnées, avec bien sûr cette interrogation sur la lutte armée. Le narrateur n'est pas tendre pour ces jeunes gens qui se payent de mots, et c'est ce qui m'a passionnée : pas d'idéalisation, pas d'angélisation, et Chloé remet d'ailleurs les pendules à l'heure des décennies plus tard.
Le narrateur est souvent désemparé devant notre époque, ses combats, ses renoncements. Vous savez quoi? J'ai parfois pensé à Modiano en lisant Pour tout bagage. Pourtant, l'écriture de Pécherot est bien différente, et j'ai adoré retrouvé son style, sa gouaille jamais trop appuyée, son trait acéré pour saisir une époque, la nôtre ou les années 1970.
De même, la construction du roman est impeccable, parfaitement maîtrisée et efficace. Le roman se savoure et se dévore tout à la fois, explorant les possibilités (qui a tiré?), s'arrêtant régulièrement sur des clichés de l'époque, restituant des moments, souvent heureux, le temps de l'innocence, en une progression remarquable.
Je parlais de Modiano : peut-être pour cette façon que Pécherot a de saisir le passé par de vieux clichés, des objets, des numéros de téléphone (Chloé lisant l'annuaire du temps jadis), mais aussi pour ce regard tendre, désabusé, sur des années de rupture pour les personnages. Le basculement dans la violence a pris une dimension inattendue et fait voler l'innocence - et le groupe d'amis - en éclats, jetant un voile sur les moments partagés, dessillant les regards et les consciences jusque là pétries de certitudes un peu naïves. Et tout cela, par la grâce du regard et de l'écriture de Patrick Pécherot, tord le coeur du lecteur, dégage une émotion magnifique, sans pathos, par petites touches. Oui, c'est du très grand Pécherot...
Patrick Pécherot, Pour tout bagage, Gallimard, La Noire, 2022. Sortie le 25 août.
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