lundi 11 novembre 2019

Ce que la mort nous laisse de Jordi Ledesma


Présentation éditeur
Dans ces stations balnéaires de la Costa Dorada, sur le littoral de la Méditerranée, tous les habitants se connaissent. Le flux incessant des touristes a beau rythmer les saisons, ce sont toujours les mêmes jalousies, les mêmes rivalités, les mêmes clans. Lucía, qui a grandi ici, est belle, trop belle : elle attire tous les regards et déchaîne les commérages. Qu’il serait facile de lui imaginer une liaison avec le séduisant Ignacio Robles, fils à papa propriétaire d’une agence immobilière… Mais qui prendrait le risque de déclencher l’ire de son mari, le Crocodile, commandant local de la Guardia Civil ? Celui-ci est d’ailleurs sur une affaire délicate : un des jeunes de la ville a été retrouvé mort sur une plage, et il craint que ce cas révèle les petits trafics qu’il couvre en échange d’un pourcentage… Tous les ingrédients du drame à venir sont réunis.
Vingt ans après, le narrateur se rappelle cet été pas comme les autres. Il plonge dans ses souvenirs pour en faire revivre les acteurs et le décor. Roman de la mémoire, Ce que la mort nous laisse est également le portrait d’une ville où les antagonismes de classe sont d’une rare violence, en plein boom immobilier touristique des années 1990.
Ce que j'en pense
Les éditions Asphalte méritent toujours notre attention, car on sait y dénicher des pépites, plus ou moins lointaines, et j'ai encore en stock le troisième volume de Boris Quercia, que j'aime énormément. Cette fois, c'est le côté européen - ici espagnol - qui a retenu mon attention. Jordi Ledesma évoque une cité balnéaire de la Costa Dorada en Espagne, dans les années 1990 : on y perçoit le boom immobilier lié au développement du tourisme de masse, et les ravages que cela suppose, en termes sociaux. L'auteur a un talent remarquable pour brosser par petites touches ces oppositions de classes sociales, pour dessiner des portraits de parvenus, de laissés-pour-compte, et évidemment, cet afflux de "richesses" génère son lot de déviances criminelles, trafics et corruption. Le narrateur est le témoin ou l'acteur lointain des évènements qui ont tout bouleversé, il en est la mémoire. Ce dispositif narratif est diablement intelligent : on ne saisit pas tout de suite quel est le rôle de ce narrateur, mais on est intrigué par les informations lacunaires qu'il donne, et il est difficile de lâcher le roman, dont la construction est diabolique. Attention, hein! n'attendez pas des trucs de fou, des twists à la thriller (= à la noix), non non, pas du tout, Ce que la mort nous laisse est bien plus fin, bien plus délicat, la tragédie s'échafaude sans bruit. Lucia est un personnage superbe, promis au pire, trop belle pour son mari, trop belle pour cette ville. J'ai été particulièrement touchée par le personnage de son mari, le Crocodile : oui, il est par bien des aspects ignobles, mais sa trajectoire sociale est également émouvante, et son sentiment de culpabilité est bouleversant, du moins à mes yeux. J'ai aussi été émue par Silvia, petite Bovary de la fin du XXè siècle, prise à son propre piège, humiliée et même violentée. Elle jouera un rôle terrible, retournant la violence contre les mauvaises personnes. 
L'émotion et la puissance du roman ne sont pas seulement liées aux personnages et à l'évocation sociale de cette Espagne des années 1990, mais aussi à une écriture somptueuse, déchirante, que je suppose magnifiquement rendue par la traduction de Margot Nguyen Béraud. Je sais qu'Asphalte aime sortir des carcans génériques, mais Ce que la mort nous laisse est à mes yeux un très beau roman noir, tel que je l'aime. 

Jordi Ledesma, Ce que la mort nous laisse (Lo que nos queda de la muerte), Asphalte, 2019. Traduit de l'anglais par Margot Nguyen Béraud. 

2 commentaires:

Electra a dit…

très joli billet ! je passerai néanmoins mon chemin (bizarrement les pays chauds ne m'attirent pas ...sauf en Amérique du sud)

Tasha Gennaro a dit…

Hé hé hé...