samedi 28 janvier 2017

Prendre les loups pour des chiens d'Hervé Le Corre


Présentation éditeur
Franck, environ 25 ans, sort de prison après un braquage commis en compagnie de son frère aîné. Il est accueilli par une famille toxique : le père, fourbe, retape des voitures volées pour des collectionneurs, la mère, hostile et pleine d’amertume, la fille Jessica, violente, névrosée, animée de pulsions sexuelles dévorantes et sa fille, la petite Rachel, mutique, solitaire et mystérieuse, qui se livre à ses jeux d’enfant. Nous sommes dans le sud de la Gironde, dans un pays de forêts sombres et denses, avec des milliers de pins qui s’étendent à perte de vue, seulement ponctués par des palombières. Dans la moiteur, la méfiance et le silence, un drame va se jouer entre ces êtres désaxés.

Ce que j’en pense
Bon, je vais tout de suite évoquer une chose qui m’a gênée dans le roman, un petit moment en tout cas, et il va falloir que j’évite de spoiler pour en parler. Voilà : au chapitre 3, j’avais eu une intuition que j’ai crue ensuite mauvaise mais qui était la bonne. J’avais compris ce qui était arrivé à Fabien, le frangin. Oui, le chien, la forêt, la gamine : j’avais compris ou en tout cas c’est une hypothèse que je me suis clairement formulée. Et puis ensuite j’ai cru m’être fourvoyée, et croyez-moi, j’en étais ravie. Quand il s’est avéré que j’avais vu juste, bien plus loin, cela n’avait plus d’importance. Dans de nombreux autres romans, cela aurait gâché mon plaisir, cela m’aurait déçue. Mais avec Prendre les loups pour des chiens, il n’en a rien été.
Car je le dis tout net : Prendre les loups pour des chiens est un grand roman noir, puissant, beau et merveilleusement écrit. Le personnage de Franck est somptueux, c’est un de ces personnages tragiques de roman noir comme j’aime : il fait les mauvais choix, toujours, il est le jouet d’un destin bien pourri, et le jouet des loups… Il y a la gamine, Rachel, une merveille de personnage, mais on savait déjà qu’Hervé Le Corre a un talent fou pour évoquer les enfants fracassés contre les adultes. N’empêche, cette fillette taciturne, qui change d’humeur comme un chat, est un personnage bouleversant de bout en bout. Et puis il y a les autres, entre chien et loup (suis-je drôle), ni franchement mauvais ni bons, des ordures ordinaires, des êtres eux aussi piégés par les circonstances et les mauvais choix. Il y a enfin le père, l’autre père, à la toute fin du roman, magnifique aussi. La famille, l’héritage, la filiation sont des thèmes qui habitent l’œuvre de l’auteur. Hervé Le Corre donne à tous ces personnage une force tragique qui laisse ébahi, j’étais habitée par les personnages même quand je ne lisais pas.
Et puis il y a l’écriture de Le Corre, éblouissante… Alors que, soyons clairs, je me caille sérieusement en ce mois de janvier, je ressentais la chaleur écrasante de la région bordelaise, je sentais les odeurs, la saveur de la bière fraîche. Il y a quelque chose de contemplatif et de sensuel tout à la fois dans l’écriture de Hervé Le Corre : la forêt et son ombre fraîche, le goût de la poussière, le chien étrange et inquiétant qui halète, l’impression de cul-de-sac ressentie par Franck du haut de ses 26 ans, le poids de la fatalité, tout cela est évoqué avec une puissance étonnante.
Hervé Le Corre a-t-il écrit du « country noir » ? On peut considérer comme tel ce roman : son écriture fait surgir la nature, l’odeur des pins, le craquement des feuilles mortes ; il évoque une manière de « white trash ». Mais Hervé Le Corre avait cette force d’écriture bien avant le phénomène en question, comme d’autres auteurs français. Je ne l’ai pas considéré comme tel au moment de ma lecture (because je m’en fous), c’est de la présentation de l’éditeur qu’a surgi la question. Du country noir, je ne sais, mais du très grand noir, ça oui, j’en suis certaine.


Hervé Le Corre, Prendre les loups pour des chiens, Rivages Thriller, 2017. Disponible en ebook.

2 commentaires:

Electra a dit…

ah oui nos intuitions, il m'est arrivé la même chose mais comme tu le dis quand c'est bien fait, ça passe ! Bon, même si ton billet est plus qu'enthousiaste, je n'ai pas du tout aimé Tango Parano - le style m'a vraiment déplu (du San Antonio puissance dix) donc si c'est pareil dans ce roman, ce n'est pas pour moi !

Tasha Gennaro a dit…

Alors je te rassure, ce n'est pas du tout écrit dans ce style. Je suppose d'ailleurs que Tango Parano est écrit dans un style un peu atypique (je ne l'ai pas lu), car les romans noirs de l'auteur que j'ai lus ne ressemblent pas à ça.