lundi 9 mars 2020

Vanda de Marion Brunet


Présentation éditeur
Personne ne connaît vraiment Vanda, cette fille un peu paumée qui vit seule avec son fils Noé dans un cabanon au bord de l'eau, en marge de la ville. Une dizaine d'année plus tôt elle se rêvait artiste, mais elle est devenue femme de ménage en hôpital psychiatrique. Entre Vanda et son gamin de six ans, qu'elle protège comme une louve, couve un amour fou qui exclut tout compromis. Alors quand Simon, le père de l'enfant, fait soudain irruption dans leur vie après sept ans d'absence, l'univers instable que Vanda s'est construit vacille. Et la rage qu'elle retient menace d'exploser.

Ce que j'en pense
Oh que je l'attendais ce livre! L'été circulaire était magnifique, et Vanda est un coup de tonnerre. On peut difficilement rendre compte de l'émotion que suscite ce roman, ou plutôt des émotions, parce que je crois qu'on passe par toute la gamme à la lecture de Vanda. Alors évidemment, si vous aimez les feel-good books, passez votre chemin. Mais d'ailleurs, que feriez-vous sur ce blog? Je n'ai rien contre les feel-good books, notez bien (je n'ai rien contre aucune sorte de lecture, ou presque), mais de Vanda on sort essoré, pantelant, et vraiment pas en mode feel-good. 
Commençons par un aspect auquel j'ai été particulièrement sensible : la peinture sociale. Dit comme ça, ça ne rend pas compte de la force de l'écriture de Marion Brunet, de sa force et de sa nuance aussi. Pas de violences policières en France? Lisez donc la scène de la manifestation à Marseille, c'est l'une des plus belles, des plus saisissantes, elle vaut toutes les analyses du monde. Mais au-delà du contexte protestataire que nous connaissons, Marion Brunet dresse à travers Vanda et quelques autres (notamment ses collègues de l'HP) une sorte d'état des lieux de la précarité, un portrait des laissés-pour-compte de la macronie (et de tout ce qui a précédé et amené cet accomplissement du néo-libéralisme), un constat terrible du règne des RH qui n'ont d'humain que l'initiale, comme un symptôme de cette société-là. Et bien entendu, Vanda n'a pas une chance, elle n'entre pas dans les cases où on voudrait la cantonner, elle est trop libre, incontrôlable. 
Mais n'allez pas penser que Vanda est une rebelle à deux balles, héroïne monolithique d'un roman manichéen. Non, Vanda est plus complexe que cela. C'est un bloc de colère et de violence, une bombe à retardement, et il suffira d'appuyer sur le bouton qu'est son fils pour que ça pète. Car Vanda, je le répète, n'est pas une rebelle qui veut tout casser, non, elle veut juste qu'on la laisse en paix avec Bulot, Noé, son fils. Elle ne part en vrille que si on la cherche. Mais voilà, on la cherche. Marion Brunet réussit un tour de force : tantôt on est de tout coeur avec Vanda, tantôt on la craint et on s'en désolidarise, si je puis dire. Car Vanda voudrait ne faire qu'un avec son fils, elle et lui contre le monde entier, comme elle le dit. Cette relation est à la fois magnifique et effrayante, animale, et elle ne peut que prendre aux tripes le lecteur, le troubler. Moi elle m'a troublée, Vanda, inquiétée, et je me disais: "si je connaissais une Vanda, est-ce que je ferais un signalement pour son fils?" Car Vanda est dans la toute-puissance avec Noé, la relation a quelque chose de toxique pour cet enfant, c'est un amour inconditionnel mais étouffant. Et face à elle, Simon, le père qui se découvre tel en revenant à Marseille, apparaît tantôt comme une ordure, tantôt comme un type qu'on plaint, bousculé et chaviré qu'il est lui-même à ce moment de sa vie. J'avoue - et cela m'est personnel - que j'ai du mal à comprendre ces velléités de paternité qui se révèlent alors que le gosse a déjà quelques années au compteur, et donc j'étais plutôt "avec Vanda". Chacun d'entre eux, Vanda, Simon, remue le lecteur : il est question de filiation, du rapport aux parents, à son milieu d'origine, car Simon est un parvenu (au sens bourdieusien), et Marion Brunet touche tellement juste lorsque Simon retrouve les siens (Marseille, sa classe sociale, sa famille), lui qui a tout cloisonné jusqu'alors. 
Et puis il faut dire la beauté de l'écriture de Marion Brunet : sa capacité à exprimer le plus intime tout en le liant au social et au politique, mais aussi la sensualité de son écriture, la justesse musicale de ses phrases.
J'ai refermé le livre bouleversée, et je crois que je vais me demander ce que deviendra Noé, cet enfant, ce "gentil gamin" qui sombre dans le mutisme et peut-être la folie. 

Marion Brunet, Vanda, Albin Michel, 2020. 

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