jeudi 22 janvier 2015

Grossir le ciel de Franck Bouysse


Présentation (éditeur)
L abbé Pierre vient de mourir. Gus ne saurait dire pourquoi la nouvelle le remue de la sorte. Il ne l'avait pourtant jamais connu, cet homme-là, catholique de surcroît, alors que Gus est protestant. Mais sans savoir pourquoi, c'était un peu comme si l'abbé faisait partie de sa famille, et elle n'est pas bien grande, la famille de Gus. En fait, il n'en a plus vraiment, à part Abel et Mars. Mais qui aurait pu raisonnablement affirmer qu'un voisin et un chien représentaient une vraie famille ? Juste mieux que rien. C'est justement près de la ferme de son voisin Abel que Gus se poste en ce froid matin de janvier avec son calibre seize à canons superposés. Il a repéré du gibier. Mais au moment de tirer, un coup de feu. Abel sans doute a eu la même idée ? Non.
Longtemps après, Gus se dira qu'il n'aurait jamais dû baisser les yeux. Il y avait cette grosse tache dans la neige. Gus va rester immobile, incapable de comprendre. La neige se colore en rouge, au fur et à mesure de sa chute. Que s'est-il passé chez Abel ?

Ce que j'en pense
J’avais quelques réticences à lire Grossir le ciel de Franck Bouysse, car j’avais lu il y a fort longtemps L’entomologiste, qui contenait quelques moments de grâce mais n’avait pas réussi à me convaincre. J’avais depuis perdu la trace de cet auteur. Il aurait pourtant été dommage de passer à côté de Grossir le ciel, parce que c’est un roman noir superbe, fulgurant, bouleversant. 
Franck Bouysse construit deux personnages de taiseux, de ces hommes solitaires et sans gloire, dignes et solides, qui peuplent les campagnes les plus arides. On est loin de L’amour est dans le pré, ici, on est dans une nature hostile (en particulier en hiver), on exerce un travail difficile et exigeant, on affronte sa solitude sans se plaindre. C’est Gus que l’on suit de plus près, le plus jeune des deux, mais plus si jeune. Jamais on ne s’ennuie à le côtoyer dans ses champs pour réparer une clôture, abattre des arbres secs, ou bien à le voir se préparer un repas frugal devant la diffusion des obsèques de l’abbé Pierre. On croise Abel, on comprend que les deux familles ont entretenu une de ces haines campagnardes tenaces, fondées sur un secret qui au fond, n’a plus d’importance, et que Gus ignore d’ailleurs. Mais Franck Bouysse instille une tension narrative par d’autres moyens, par des événements minuscules mais pas anodins dans ce coin perdu des Cévennes. Il happe son lecteur tout de suite, et il est impossible de lâcher ce court roman. La montée en puissance est parfaitement maîtrisée. On en ressort pantelant, le coeur à l’envers, et c’est beau…
L’évocation de la nature est d’une puissance rare, du moins dans les romans noirs français. Tout est minéral dans ce paysage d’hiver, on ressent la morsure du froid, l’éblouissement de la neige, on perçoit l’isolement que cela suppose. 
Le tout est admirablement servi par une écriture sèche, sans fioritures, d’une efficacité redoutable. Cela ne nuit pas à l’émotion, bien au contraire, cette sobriété la renforce. Il se dégage de Grossir le ciel une immense poésie, à l’image de ce titre, magnifique, qui prend tout son sens dans les dernières pages. 

Franck Bouysse, Grossir le ciel, La Manufacture de Livres, 2014.

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