mercredi 20 août 2014

Après la guerre de Hervé Le Corre


Présentation (éditeur)
Bordeaux dans les années cinquante. Une ville qui porte encore les stigmates de la Seconde Guerre mondiale et où rôde la silhouette effrayante du commissaire Darlac, un flic pourri qui a fait son beurre pendant l'Occupation et n'a pas hésité à collaborer avec les nazis. Pourtant, déjà, un nouveau conflit qui ne dit pas son nom a commencé ; de jeunes appelés partent pour l'Algérie. Daniel sait que c'est le sort qui l'attend. Il a perdu ses parents dans les camps et, recueilli par un couple, il devient apprenti mécanicien. Un jour, un inconnu vient faire réparer sa moto au garage où il travaille. L'homme n'est pas à Bordeaux par hasard. Sa présence va déclencher une onde de choc mortelle dans toute la ville, tandis qu'en Algérie d'autres crimes sont commis… 

Ce que j’en pense
Pour rappel, je n’avais pas totalement été emballée par L’homme aux lèvres de saphir, dont je reconnais toutefois la grande qualité, et j’avais été bouleversée par Les coeurs déchiquetés, qui allie tout ce que j’aime dans le roman noir (noirceur, émotion, exigence de l’écriture). Par conséquent je me suis réjouie lors de la parution de Après la guerre, qui patientait depuis des semaines déjà et qui a trouvé son moment cet été… Hervé Le Corre réussit ici un roman magistral, qui brasse deux époques historiques proches mais complexes, l’Occupation et la guerre d’Algérie. Il éclaire les périodes en question sans jamais être pesant ni simpliste. Il entrelace les points de vue avec une grande maîtrise, avant de joindre tous les fils narratifs dans un final pas totalement surprenant (ce n’est pas le but) et éblouissant de noirceur (si si, on peut être ébloui par la noirceur, je vous jure). Les personnages sont tous captivants, forts, pas toujours aimables, et ils ne sont jamais caricaturaux. J’ai particulièrement aimé que l’auteur ne cède pas à la facilité quand il est question de la guerre d’Algérie: les jeunes appelés sont évidemment endoctrinés, et puis l’humanité ne brille pas particulièrement en temps de guerre, mais les officiers évoqués ne sont pas monstrueux, loin des caricatures parfois présentées; cela n’empêche pas cette guerre qui ne dit pas son nom d’être monstrueuse, elle. 
Et puis, même si ce n’est qu’annexe, ce roman m’a fait réfléchir à ce qu’on appelle - ou non - roman régional, car Hervé Le Corre s’était exprimé à ce sujet dans un numéro d’Alibi (avant la parution de Après la guerre), rejetant cette étiquette pour ses romans, niant l’existence d’un « roman bordelais ». Après la guerre est clairement ancré à Bordeaux (comme point central pour les personnages), et pourtant, cela me semble évident, Après la guerre n’est en rien un roman bordelais au sens où on l’entend pour les polars régionaux qui ont fleuri ces dernières années. En lisant, je me demandais pourquoi j’avais cette conviction. Il ne s’agit pas de l’ampleur du propos, « universel » quand on parle de littérature, non, ce n’est pas ça (je ne suis pas certaine que ça veuille dire grand chose pour la plupart des lecteurs, d’ailleurs). Il me semble que dans les polars régionaux (et j’en ai lu un certain nombre, souvent sans enthousiasme), il y a toujours la volonté de rendre hommage à la ville/région évoquée, même lorsque les apparences sont peu glorieuses, il se dégage un désir de louer ou de réhabiliter un endroit dans ce qu’il a de spécifique, de particulier, de différent. Le roman régional peut être sombre (ce n’est d’ailleurs pas la dominante, me semble-t-il), mais la ville/région se trouve toujours, d’une manière ou d’une autre, rehaussée, et par ailleurs, le lieu est l’un des sujets majeurs du roman. 
Rien de tel chez Le Corre: en bon auteur de roman noir, il regarde sous les jupons de Bordeaux et ce n’est pas très propre… La ville suinte d’ailleurs la crasse, on est loin de la pittoresque cité d’Aquitaine. Bordeaux est emblématique des compromissions de l’Occupation et de la Libération, en cela elle est un élément important du roman, mais c’est le trouble de ces époques qui intéresse Hervé Le Corre, qui n’a pas pour but de nous faire un portrait de Bordeaux. Par conséquent, Après la guerre est ancré dans une ville, mais n’a pas pour sujet cette ville. Après la guerre est un grand roman noir qui se passe à Bordeaux, pas un polar régional. 


Hervé Le Corre, Après la guerre, Rivages/Thriller, 2014. Disponible en ebook.

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