mardi 22 décembre 2020

L'Ange rouge de François Médéline



Présentation éditeur

À la nuit tombée, un radeau entre dans Lyon porté par les eaux noires de la Saône. Sur l’embarcation,  des torches enflammées, une croix de bois, un corps mutilé et orné d’un délicat dessin d’orchidée. Le crucifié de la Sâone, macabre et fantasmatique mise en scène, devient le défi du commandant Alain Dubak et de son équipe de la police criminelle. Six enquêteurs face à l’affaire la plus spectaculaire qu’ait connu la ville, soumis à l’excitation des médias, acculés par leur hiérarchie à trouver des réponses. Vite. S’engage alors une course contre la montre pour stopper un tueur qui les contraindra à aller à l’encontre de toutes les règles et de leurs convictions les plus profondes. Porté par la plume brillante et explosive de François MédélineL’Ange rouge invite son lecteur à une plongée hallucinée parmi les ombres de la ville et les âmes blessées qui  s’y débattent. 

Ce que j'en pense

François Médéline se confronte aux codes du thriller et conformément à ce qu'on peut attendre, il absorbe le genre, ou, si vous préférez, il y injecte son propre univers, son écriture. Mais avant cela, je voudrais faire une digression sur le thriller (vous pouvez reprendre la lecture de la chronique au paragraphe 3 si ça vous gonfle).

Dans ce vaste ensemble que forment les fictions criminelles, je suis, pour toujours je crois, de la team ROMAN NOIR. Et je me suis longtemps bouché le nez devant le thriller, ses couvertures kitsch, ses twists éreintants et vains, ses serial killer qui ne me fascinaient pas du tout. Mais pour de nombreuses raisons, notamment ma volonté de lutter contre mon propre élitisme snobinard, j'ai décidé que je devais regarder de plus près, pour ne pas parler sans savoir. Je précise que mon intérêt est avant tout intellectuel (et même professionnel). Et à mon grand étonnement, j'ai eu de bonnes surprises, pas du côté américain, non, pour le moment du côté italien. J'ai pris un vrai plaisir devant le savoir-faire de Donato Carrisi, Ilaria Tuti, par exemple. Ces derniers jours, j'ai lu une centaine de pages d'un roman de Sandrone Dazieri, et je vous assure que certains chapitres ne dépareraient pas dans un roman noir. Les personnages de ces romanciers me plaisent. On aura tout vu. 

Bref, tout ça pour dire que vous ne m'entendrez plus dire que le thriller est une sous-merde. Comme pour le roman noir, comme pour n'importe quelle littérature de genre, il y a de bons livres et de mauvais livres, et j'observe une même tendance à des hybridations intéressantes. J'en reviens à L'Ange rouge. François Médéline offre un mélange de thriller - pour l'intrigue dans son déroulement général -, de noir - pour les personnages bien amochés - et de procédural - pour le fonctionnement du groupe et l'observation (ou non) de la procédure, évoquée avec une précision manchettienne. Ce que je perçois comme mélange (peut-être que je me plante complètement) est en soi passionnant et donne un roman détonnant, un vrai page-turner. C'est aussi un roman de François Médéline, un roman qui désoriente et met en scène la désorientation de son personnage principal, Alain Dubak, chef de groupe borderline, dont l'écriture sèche, faite de phrases courtes au rythme brutal, de Médéline rend admirablement compte. Une phrase dit oui, la suivante dit non, et cela se poursuit jusqu'au la désorientation. J'ai trouvé aussi que Médéline joue, comme Manchette avant lui, avec les atouts et les impasses de l'écriture comportementaliste. Les faits, bruts, alignés staccato, ça colle le vertige. 

Les personnages sont formidables, tous, y compris les membres du groupe que l'on voit peu. Ils forment un ensemble qui là encore, se joue des représentations codées - ou stéréotypées - d'une brigade, et c'est jubilatoire. Dubak est le chef déglingué, à la vie personnelle dévastée. J'avoue un faible pour Mamy (que je me représente sous les traits de Corinne Masiero), ses sucreries, le chien, sa coupe de cheveux improbable et ses manucures, ses prédictions, sa carrure, sa manière très personnelle d'interroger, et j'en passe. Je l'adore. J'aime les références qui émaillent le roman, à Manchette, à Dantec (très drôle), entre autres. 

Je pourrais vous dire que l'on comprend avant les personnages le fin mot de l'histoire (pas de spoiler), mais je ne jurerais pas que l'auteur ne le fait pas exprès, pour nous dire que l'essentiel est ailleurs. Et peu importe. 

Car voyez-vous, le final du roman, la scène avec discours ministériel (je tente de ne rien dévoiler) est d'une beauté à pleurer, et je pèse mes mots. C'est éblouissant, tragique, bouleversant, en un mot : superbe. Pour cela et pour tout le reste, vous ne pouvez pas passer à côté de L'Ange rouge de François Médéline. 

François Médéline, L'Ange rouge, La Manufacture de Livres, 2020. 


dimanche 13 décembre 2020

Lou après tout 3. La bataille de la Douceur de Jérôme Leroy



Présentation éditeur

Lou quitte Wim avec un goût amer. Dans le monde d’après l’effondrement, existe-t-il un seul endroit épargné par l’horreur ? Son dernier espoir, comme pour Amir, Cesaria et Maria : la Douceur. Lou ne sait pas encore à quel point la route pour l’atteindre sera longue. Au même moment, dans la Douceur qui prospère depuis quatorze années, trois musiciens jouent pour la première fois la Mélodie. Cet air semble avoir un mystérieux effet sur les Cybs, mais permettra-t-il d’éviter le pire ? Car, tandis que Lou s’approche de son ultime étape, le danger qui menace d’anéantir la Douceur s’épaissit comme une ombre…

 

Ce que j’en pense

J’avais lu avec un immense plaisir et en enchaînant les deux volumes Le Grand effondrement (tome 1) et La communauté (tome 2). Le plaisir allait même croissant, car le début du Grand Effondrement avait suscité quelques réserves, un mélange de déjà-vu (mais je lis beaucoup de dystopies pour adolescents) et de discours un peu convenu sur notre monde tel qu’il va, c’est-à-dire à sa perte. N’allez pas croire que cela avait gâché mon plaisir, car il y a une différence de taille entre le tout-venant de la littérature pour ados et Jérôme Leroy : une écriture. Quoi qu’il en soit, ce sentiment s’était vite estompé. Lorsque La Bataille de la Douceur, le tome 3, est paru, je me suis précipitée, mais je l’ai gardé « en réserve », je fais souvent cela avec les livres dont j’attends impatiemment la sortie (oui je suis un peu bizarre). La semaine dernière, j’ai saisi ce volume, comme ça, juste pour en lire quelques pages, et avant d’avoir le temps de m’en rendre compte, j’en avais dévoré une centaine. Telle est la première chose à dire : Lou après tout est un sacré « page turner » comme on dit, une trilogie qui se dévore, que l’on n’a pas envie de quitter, et cela me semble important quand on écrit pour un lectorat jeune. 

Jérôme Leroy met en avant, dans ce troisième tome, la puissance de la fiction et du récit, anthropologiquement nécessaires, si vous me pardonnez cette approximation pédante, pour l’humanité. Lou est ici conteuse, elle consigne par écrit son itinéraire, pour les générations futures de la Douceur. Le récit manie aussi, très explicitement, les contes qui ont façonné nos imaginaires, leur redonne vie : en premier lieu celui du Joueur de flûte de Hamelin. Apollinaire est encore et toujours l’ombre bienveillante de Lou après tout. La musique et la poésie sont des éléments essentiels du salut de l’humanité, et il est bon de le rappeler en ce moment. Citations et références émaillent le récit, l’illuminent, et c’est beau. 

Je pourrais vous dire aussi qu'en tant que Limousine, je suis sensible à l’évocation des paysages de ma région, mais à dire vrai, l’urbaine que je suis, qui ne goûte guère les joies de la campagne, a été aussi sensible à l’évocation de la côte d’Opale, dont j’ai un souvenir émerveillé, qu’à ceux des paysages vallonnés et marqués par les eaux de « mon pays ». 

Ce que je voudrais souligner pour vous convaincre de vous plonger dans Lou après tout, quel que soit votre âge, c’est le fait que cette trilogie jeunesse, après Macha ou l’évasion, est une pierre de plus dans une œuvre qui se construit, avec une superbe cohérence. De roman en roman (il faudrait que je me plonge dans la poésie de Jérôme Leroy), l’auteur bâtit une vision du monde puissante et poétique, où le désenchantement le dispute à l’espoir, où la poésie bataille contre la laideur, avec des résonances entre les romans « pour adultes », les romans noirs et les romans jeunesse. Je vous avais dit à quel point Un peu tard dans la saison m’avait bouleversée. Il y a chez Jérôme Leroy une vision du monde, empreinte de nostalgie et de poésie, qui m’étreint le cœur. 

Lisez, offrez Lou après tout, ne vous arrêtez pas aux couvertures (de mon point de vue très très moches) : dedans il y a du Jérôme Leroy, c’est-à-dire une beauté à pleurer, littéralement.

 

Jérôme Leroy, Lou après tout, 3. La bataille de la Douceur, Syros, 2020.