mardi 25 juin 2019

Deux romans de Gilda Piersanti


Présentation éditeur
Les liens du silence
À Sant’Andrea del Monte, un petit village de Calabre, une jeune femme qui a collaboré avec la justice en dénonçant sa famille mafieuse est retrouvée noyée dans sa baignoire. Elle a ingéré de l’acide chlorhydrique : une mort atroce qui évoque une exécution plutôt qu’un suicide. Son père, Don Alfredo, est l’un des boss les plus puissants du Bunker, l’organisation criminelle qui domine le trafic de cocaïne en Europe. À Zurich, Giulia, la petite-fille de Don Alfredo, pensionnaire d’une luxueuse école privée, tombe amoureuse de Lorenzo. Il est jeune, journaliste, et sa mère a autrefois été tuée dans un attentat qui visait son père, procureur en lutte contre… le Bunker. Giulia ignore tout des activités mafieuses de sa famille. Et alors que Lorenzo, qui mène l’enquête, s’apprête à lui en révéler le vrai visage, il est victime d’une terrible agression. Jamais les liens du sang n’ont aussi bien porté leur nom. Dans un monde où les traditions séculaires de l’honneur couvrent les luttes de pouvoir, Giulia et Lorenzo pourront-ils échapper aux lois non écrites de leurs familles que tout oppose ?

Illusion tragique
En ce torride mois d’été romain, le petit Mario, dix ans, ne monte pas sur la terrasse de son immeuble pour y prendre l’air, mais pour épier son voisin du dernier étage, monsieur Ruper, un homme sans histoire qui vit seul et mène une vie rangée. Personne ne lui connaît la moindre relation, personne ne l’a jamais vu rentrer chez lui accompagné, et pourtant… Tous les soirs, Mario l’observe dans sa baignoire en train de coiffer et de savonner une très jolie jeune femme.
Son ami Riccardo et lui ont décidé d’aller libérer la princesse, parce qu’il n’y a pas d’autre explication : monsieur Ruper l’a enfermée chez lui, elle est sa prisonnière ! Le plus difficile, toutefois, n’est pas de s’introduire dans l’appartement de monsieur Ruper, mais d’en sortir une fois qu’on y est entré…


Ce que j'en pense
De Gilda Piersanti j'avais lu les deux premiers volumes de la série Les saisons meurtrières, et j'avais aimé ces romans, son héroïne et les atmosphères. Je suis sortie de cette série pour lire Illusion tragique et Les liens du silence, qui sont à la fois très différents et en cohérence complète. 
Illusion tragique illustre bien la veine choisie par Gilda Piersanti ces derniers temps : un thriller psychologique, pas dans le genre trépidant et fatigant made in USA avec serial killer et tout et tout. Non, avec une intrigue solide et diabolique à la Irish ou Boileau-Narcejac, des emboîtements d'intrigues et une belle réflexion sur la création littéraire. C'est très prenant, efficace, sans temps mort, et je me suis régalée. 
J'avoue cependant ma préférence pour Les liens du silence, qui lorgne davantage du côté du roman noir à mon sens, et dans lequel Gilda Piersanti aborde le sujet de la mafia, des organisations criminelles familiales. C'est une tragédie antique que nous livre la romancière à travers ses personnages et leur destin, c'est fort et beau. 
Suspense psychologique d'un côté et noirceur criminelle de l'autre, mais Gilda Piersanti s'intéresse à des choses proches dans les deux romans, aussi dissemblables soient-ils en apparence : la famille et les liens indéfectibles qu'elle fait peser sur nous, le destin et l'impossibilité de s'arracher à ce qui nous détermine en premier lieu, le poids de l'héritage (dans tous les sens de ce terme), le secret et la vengeance qui orientent des existences entières, l'amour et ses visages les plus sombres. Je me souviendrai longtemps de l'Araignée, qui m'a fait penser à Catherine de Médicis dans La Reine Margot de Chéreau: aussi inquiétante que puissante...
Décidément, je suis de plus en plus séduite par l'univers de Gilda Piersanti, qui écrit dans un français magnifique (au cas où vous ne l'auriez pas noté) des romans diablement italiens. 

Gilda Piersanti, Les liens du silence, Le Passage, 2015. 
Gilda Piersanti, Illusion tragique, Le Passage, 2017. Disponible en poche.

dimanche 23 juin 2019

Bilan mi-parcours 2019

Image empruntée ici

Je reprends l'idée à Electra, dont vous pouvez lire le billet ici

Combien de livres avez-vous lu cette année ?
54, sans les BD. Pas trop de temps mort, une certaine régularité, même s’il y a une accélération en ce mois de juin. 

Quel est le livre que vous avez préféré en 2019 ?
Difficile question. Je réponds éventuellement par des noms d’auteurs, parce que j’ai parfois lu plusieurs de leurs titres en 2019 : 
Frédéric Paulin, La guerre est une ruseet Prémices de la chute, une claque monumentale. 
Pia Petersen, Paradigma, autre claque.
Wojciech Chmielarz, les trois titres parus en France, PyromaneLa ferme aux poupéesLa Colombienne.
Valerio Varesi, La pension de la via Saffi.
Maurizio De Giovanni, Le printemps du commissaire Ricciardi.
Je m’arrête là mais je pourrais continuer, trop dur !

Quelle fut votre plus grosse déception de l’année ?
Deux livres lus en ce début 2019 m’ont ennuyée mais je n’en attendais rien, je ne peux donc pas parler de déception.

Quel auteur avez-vous découvert cette année que vous adorez ?
Frédéric Paulin, Wojciech Chmielarz, Marco Vechi. 

Quelle est la lecture qui fut une excellente surprise pour vous ?
Rui Zink, Le terroriste joyeux, puisque je n’avais pas accroché à L’installation de la peur.

Quelles sont vos parutions les plus attendues ? 
Il était une fois dans l’est de Arpad Soltesz (pardon pour les accents manquants). 

Quels sont vos meilleurs moments littéraires ?
La rencontre avec Antoine Chainas lors de l’édition 2019 de Vins noirs. 

samedi 22 juin 2019

Le printemps du commissaire Ricciardi de Maurizio De Giovanni


Présentation éditeur
Luigi Alfredo Ricciardi, commissaire à la questure royale de Naples, a un don particulier : il voit la souffrance des morts et les entend parler. Aidé de son fidèle adjoint, il enquête dans les quartiers pauvres de la ville où on a découvert le corps de la vielle Carmela Calise, cartomancienne et usurière à ses heures. Que va révéler la morte au commissaire ? Les secrets de ses clients sont bien gardés. En ce printemps de l'année 1931, la ville de Naples a l'odeur de la haine, du sang et des amours déçues. 

Ce que j'en pense
J'avais lu et aimé le premier volume dédié au commissaire Ricciardi. J'avais même, lors de mon passage en Italie l'an dernier, acheté la bande dessinée parue chez Bonelli (perdue depuis puisqu'elle était dans le sac qu'on m'a volé dans le train à mon retour). 
Cependant, ce deuxième volume m'a encore plus plu : il m'a bouleversée. Il s'en dégage une mélancolie incroyable et d'une beauté à couper le souffler. La solitude des êtres, leur douleur, leur inaptitude au bonheur, tout cela est exprimé avec une force... Cela n'empêche pas les petits moments d'humour, avec Maione et le légiste, notamment. 
Et puis il y a la vie napolitaine, captée dans son fourmillement, jamais idéalisée : Naples est une ville aux contrastes saisissants mais où domine l'extrême misère. J'avais des images un peu floues des quartiers espagnols, où j'ai logé le temps de vacances il y a déjà longtemps. Mais je me représentais nettement ce qu'est un basso, le dédale des rues, mais aussi les odeurs évoquées, y compris dans les quartiers aristocratiques. L'écriture de Maurizio De Giovanni est toujours précise et évocatrice, sans être pesamment descriptive. 
J'ai dévoré ce volume, dont l'intrigue est suffisamment retorse pour tenir en haleine jusqu'au bout. Et puis il n'y a aucun manichéisme dans la vision de l'auteur : juste des personnages empêtrés dans leur statut social, dans leurs déterminismes, parfois en proie à l'hubris qui les mène droit dans le mur. C'est beau et tragique, somptueux et déchirant. 
Evidemment, sitôt refermé ce 2è volume, j'ai fait l'emplette du 3è : la peur du manque, hein...

Maurizio De Giovanni, Le printemps du commissaire Ricciardi (La condanna del sangue. La primavera del commissario Ricciardi), Rivages Noir, 2015 (pour l'édition de poche). Traduit de l'italien par Odile Rousseau. 

lundi 17 juin 2019

De bonnes raisons de mourir de Morgan Audic


Présentation de l'éditeur
Un cadavre atrocement mutilé suspendu à la façade d’un bâtiment. Une ancienne ville soviétique envoûtante et terrifiante. Deux enquêteurs, aux motivations divergentes, face à un tueur fou  qui signe ses crimes d’une hirondelle empaillée. Et l’ombre d’un double meurtre perpétré en 1986, la nuit où la centrale de Tchernobyl a explosé…

Ce que j'en pense
Voilà un livre auquel je n'aurais pas pris garde si la blogosphère et les réseaux sociaux n'avaient pas titillé ma curiosité. Tout indique le thriller, et moi le thriller, ce n'est pas trop ma tasse de thé. Mais De bonnes raisons de mourir lorgne tout autant du côté du noir que du thriller. Disons que le rythme s'accélère peu à peu et que le final est typique d'un thriller, avec course contre la montre et twist (mais pas un twist monstrueux et ridicule). Mais par bien des aspects, le second roman de Morgan Audic est un roman noir : dimension sociale, désespérance, peinture de la saloperie humaine et politique, certitude que tout ça va mal se terminer. Et donc je marche!
Il faut reconnaître à Morgan Audic une belle efficacité, à la fois dans le rythme, prenant sans être étourdissant, et dans la manière de dessiner les personnages, auxquels le lecteur attache ses pas très rapidement et sans réserve. Et puis c'était passionnant d'aller par procuration à Tchernobyl, de saisir à la fois l'ampleur et la durée de la catastrophe (dont les conséquences se font toujours sentir) et de percevoir, dans ces villes et ces lieux abandonnés en toute hâte, les vestiges d'un monde disparu, l'URSS, un monde qui reposait certes sur des mensonges et une violence inouïe, mais qui valait bien la sauvagerie capitaliste d'aujourd'hui. Je me demande comment a travaillé Morgan Audic, car si j'ai bien compris, il n'est jamais allé sur place, ni de près ni de loin ; or, la lectrice que je suis, qui n'y a jamais mis les pieds non plus, a le sentiment d'y être, de toucher la vie de l'époque et d'aujourd'hui par mille et un détails. C'est saisissant. 
Mine de rien, Morgan Audic aborde les plaies de l'Ukraine d'aujourd'hui, de la Russie aussi: les conflits armés pour le contrôle des territoires, les nationalismes et la résurgence du fascisme et du néo-nazisme, la difficulté à vivre dignement dans un monde ravagé par le capitalisme. Et sans nostalgie mal placée, il évoque aussi le monde soviétique d'une manière qui m'a bouleversée: les vestiges d'un monde qui ne fonctionnait peut-être pas bien mais où l'intérêt de tous avait du sens. Peut-être est-ce moi qui projette des choses, je ne sais pas. 
En tout cas, De bonnes raisons de mourir est sacrément bien fichu, sans temps mort, sans frénésie, et j'ai passé un très bon moment. 

Morgan Audic, De bonnes raisons de mourir, Albin Michel, 2019.

dimanche 16 juin 2019

Glory Hole de Frédéric Jaccaud


Présentation de l'éditeur
C’est l’histoire de trois enfants, de leur promesse murmurée sous l’arbre d’un orphelinat de ne jamais se quitter. Mais les promesses n’engagent que ceux qui veulent bien y croire. Treize ans plus tard, Jean découvre une photographie de Claire dans un magazine pornographique américain.
Le jeune homme veut la retrouver, et comprendre, à tout prix. Il entraîne Michel dans son obsession : direction Los Angeles, et ses anges déchus, où l’industrie du sexe prolifère. Pourquoi ne doutent-ils pas de la réalité de cette image corrompue ?

Ce que j'en pense
Equinox continue à tracer sa route, avec un auteur découvert jadis par Aurélien Masson à la Série Noire. Frédéric Jaccaud est l'un des auteurs de romans noirs les plus intéressants à mon humble avis, qui, comme Antoine Chainas ou dans un autre style DOA, repousse les limites du genre. Comme Chainas dans Empire des chimères, Jaccaud situe son intrigue au début des années 1980, dans un monde révolu et où s'amorcent les grands changements qui vont mener à ce que nous connaissons.
A travers Jean et Michel, à travers l'industrie du porno à Los Angeles, c'est le grand basculement dans la vacuité morale et intellectuelle de notre monde qui est saisie, d'une plume froide façon scalpel. C'est du Bret Easton Ellis (époque Moins que zéro) refroidi au Georges Bataille que nous lisons, le tout mâtiné de Ballard (Crash est cité de nombreuses fois par la jeunesse désoeuvrée que rencontrent nos deux personnages). 
La quête de l'équilibre (du bonheur?) originel, qui s'incarne dans la vaine poursuite de Claire, cramée avant eux aux spots californiens, pourrait donner un sens à l'itinéraire de Jean et de Michel. Mais il n'en est rien, et c'est une anti-quête que nous offre Jaccaud, glaçante et époustouflante tout à la fois. Pourtant, il y a de l'amour dans ce roman : le lien entre Michel et Jean est complexe, aliénation, amitié, amour en somme ; et puis il y a en filigranes l'amour pour Claire, cette photo qui subsiste et qui résiste à toutes les jaquettes de VHS peu reluisantes, la lueur d'un trio impossible à reconstituer mais qui persiste. 
Et c'est ainsi que le roman noir est grand.

Frédéric Jaccaud, Glory Hole, Equinox / Les Arènes, 2019.

samedi 15 juin 2019

Rita Falk et M.C. Beaton



Les romans noirs sont au coeur de mes lectures, vous le savez, mais il arrive que j'aie besoin de m'échapper de la noirceur, pour aller vers plus de légèreté. Ces derniers temps, j'ai éprouvé le besoin de lire des choses légères sans être mièvres, des romans qui me font sourire et rire. Je n'ai aucun problème à le dire : j'ai parfois besoin de sortir de la noirceur du monde, d'aller vers un pur divertissement qui ne recherche nullement le style ou l'innovation formelle. 
Je me suis donc tournée ces dernières semaines vers deux autrices qui ont comblé ce besoin, entre deux lectures fortes et sombres.
D'abord il y a eu Rita Falk et sa Choucroute maudite : j'ignore quel est le statut de cette romancière en Allemagne, mais ça sent le polar un peu régional, enraciné en Haute Bavière, avec recettes et tout le truc. Mais vu d'ici, édité au Mirobole, c'est exotique à souhait, et d'une drôlerie irrésistible. La Mémé est impayable avec sa manie de traquer les bonnes affaires, et j'ai éclaté plusieurs fois de rire sans me soucier de l'endroit où je me trouvais. Evidemment, Bretzel Blues a rejoint illico mon stock, pour les moments de morosité inopinés. C'est du polar déjanté juste ce qu'il faut, sans aucune prétention, bien ficelé, avec des personnages farfelus, des situations loufoques, et ça remplit à merveille son office: faire passer un excellent moment. 
Ensuite il y a eu M.C. Beaton et son Agatha Raisin. Je suis longtemps restée réfractaire à cette série qui rencontre depuis quelques années un énorme succès en France, sur un rythme de publication assez frénétique. La série a commencé à être publiée en anglais au début des années 1990, donc Albin Michel a du stock, si je puis dire, et peut alimenter les lecteurs français à ce rythme soutenu. J'étais réfractaire à ce que d'aucuns appellent le cosy mystery à l'anglaise, au succès phénoménal de la série (mon côté affreusement snob ressurgit malgré moi). Mais ma chère Miss Cornélia a su me convaincre : y a pas de mal à se faire du bien avec des sucreries, tant qu'on ne consomme pas que ça! Et je combats mon snobisme de littéraire autant que je peux. En ce vendredi, j'avais un trajet de 3h30 en train (et ces trajets ferroviaires me pèsent de plus en plus), j'étais claquée, j'avais besoin de légèreté après une semaine compliquée et une lecture éprouvante autant que passionnante (je vous en reparle vite). Donc, le tome 1 des aventures d'Agatha Raisin, La quiche fatale, sur ma liseuse depuis quelques temps déjà, me faisait de l'oeil. Et c'était parfait: je n'ai pas vu le temps passer, je me suis marrée comme une baleine sans me soucier des autres passagers, et le soir, j'ai acquis le tome 2 pour l'avoir sous la main. C'est drôle, pas mièvre, enlevé, et là encore, ça n'a pas d'autre prétention que de faire passer un bon moment. Agatha est suffisamment féroce pour plaire à l'asociale que je suis, les travers de nos contemporains (britanniques, mais qu'importe) épinglés avec la juste distance, et le contrat est parfaitement rempli. 
Alors oui, je peux d'un côté adorer des romanciers comme Antoine Chainas, Jean Echenoz ou Patrick Modiano (et je ne vous parlerai pas des classiques) et d'un autre côté me délecter de M.C. Beaton et Rita Falk. Mes lectures se suivent et ne se ressemblent pas (toujours). C'est comme ça.

Rita Falk, Choucroute maudite, Le Mirobole Editions, 2017. Traduit de l'allemand par Brigitte Lethrosne et Nicole Patilloux. Disponible en numérique. Réédité en J'ai Lu. 
M.C. Beaton, La Quiche fatale (Agatha Raisin and the Quiche of Death), Albin Michel, 2016. Traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Esther Ménévis. Disponible en numérique. 

mardi 4 juin 2019

La Vie en Rose de Marin Ledun


Présentation éditeur
Ses parents partis parcourir la Polynésie, Rose – qui s’est installée avec le lieutenant Personne – se retrouve seule pour s’occuper de ses frères et sœurs. 
Coup sur coup, elle est confrontée au cambriolage de Popul’Hair – le salon de coiffure où elle fait la lecture –, à la découverte inopinée de sa grossesse et au meurtre de l’ex-petit ami de sa sœur. Bientôt, c’est le meilleur ami de Camille que Rose découvre poignardé. 
Entre deux nausées, deux crises existentielles et en marge de l’enquête parallèle qu’elle mène, Rose doit encore s’occuper du suivi scolaire de sa sœur, des peines de cœur de son frère aîné, des plaintes du directeur de l’hôpital où travaille Antoine qui organise des strip-pokers au service gériatrie, de lire Sacher-Masoch aux clientes de Vanessa…
Pendant ce temps, l’assassin continue de s’en prendre aux jeunes gens du lycée où Camille est scolarisée. Un matin, alors qu’elle est censée préparer chez une amie une marche de soutien à la dernière victime, Camille disparaît.


Ce que j'en pense
Ah ce que c'est bon de retrouver les Mabille-Pons! J'avais aimé le premier volume et celui-ci m'a comblée aussi. Qu'importe que Rose n'ait décidément pas les références ou la vision d'une jeune femme de 22 ans, on se sent bien avec elle et sa famille. Exit les parents cette fois-ci, place aux jeunes, place à Vanessa, pour une histoire déjantée et grave, drôle et effrayante tout à la fois. Car sous ses allures de comédie survitaminée, La vie en rose pose par petites touches des questions essentielles, des constats sévères aussi, sur les déterminismes sociaux qui frappent ces adolescents de plein fouet. Quels choix peut-on réellement faire? Comment sortir des impasses auxquelles notre appartenance sociale nous renvoie? Et les adultes dans tout ça? 
Mais tout cela se fait à un rythme trépidant, avec des dialogues jubilatoires, sans se prendre au sérieux. Et ça fait du bien, nom de nom. On sent en tant que lecteur à quel point Marin Ledun s'est amusé en créant ces situations rocambolesques, en ciselant les dialogues qui claquent. On en redemande. 
Alors, vivement le 3e volume!

Marin Ledun, La Vie en Rose, Gallimard, Série noire, 2019. 

dimanche 2 juin 2019

Paradigma de Pia Petersen


Présentation de l'éditeur
Los Angeles, la ville sur la faille. Dans les coulisses de la remise des Oscars, une Marche silencieuse s’organise. Sur les téléphones, les rumeurs et les hashtags ont lancé le mouvement.
Dans les rues, des grappes d’inconnus venant de partout se rassemblent, dans une ambiance explosive et électrique.
Tout est parti de Luna.
Mais qui est Luna ?
Beverly Hills, les stars, les hackers, les gangs, les flics, les riches… face à des millions d’exclus de la société du spectacle, qui ont décidé de reprendre leur destin en main.
Toutes ces énergies convergent vers la déflagration et l’utopie.
Un livre total et nécessaire.
Et c’est aussi une histoire d’amour, évidemment.


Ce que j'en pense
Grande baffe dans la tronche que ce Paradigma de Pia Petersen. Les premières pages sont saisissantes, extraordinaires de puissance: le chaos, le massacre, la fin. Je ne comprenais pas les tenants et les aboutissants mais j'étais happée par cette vision post-violence. Et puis le récit reprend, avant le massacre, dans une évocation qui m'a parfois fait penser au Cosmopolis de Don DeLillo. Une vision fragmentée selon plusieurs points de vue permet de saisir une Los Angeles même pas futuriste, puisqu'on comprend que Trump est le président en exercice. Mais c'est une ville qui exacerbe tous les clivages sociaux qui est peinte, avec sa violence terrible, ses quartiers de pauvres et ses villas de riches. Car le travail est devenu une denrée rare et ne permet pas toujours de vivre décemment dans un monde où quelques uns se sont appropriés pour en faire commerce les ressources naturelles. Une majeure partie de la population est sans abri, sans protection aucune, tandis qu'une infinité de puissants s'empiffre et se protège à grands renforts de milices privées. Les tensions ne sont pas seulement raciales, elles sont sociales, et les forces de l'ordre sont promptes à tirer sur les pauvres: @poorlivesmatter Le roman va saisir cette société à son point de rupture, quand les pauvres vont se regrouper et user à leur profit de la société du spectacle dont Hollywood est le parangon. 
Le récit se développe selon divers points de vue, reprend en arrière, forme un kaléidoscope incroyable de maîtrise narrative et de force. N'attendez pas une action trépidante à grands coups de retournements de situation: c'est à une implosion que nous assistons, mais vous verrez, on sort de cette lecture étrangement apaisé, ou peut-être même galvanisé. J'ai découvert Pia Petersen avec ce roman et je compte bien la suivre désormais : elle a une voix et une vision, tout ce que j'aime dans le noir.  

Pia Petersen, Paradigma, Les Arènes, Equinox, 2019. Disponible en numérique.