dimanche 16 décembre 2012

La fête au Bouc de Mario Vargas Llosa



Présentation (quatrième de couverture)
Que vient chercher à Saint-Domingue cette jeune avocate new-yorkaise après tant d'années d'absence ? Les questions qu'Urania Cabral doit poser à son père mourant nous projettent dans le labyrinthe de la dictature de Rafael Leonidas Trujillo, au moment charnière de l'attentat qui lui coûta la vie en 1961. Dans des pages inoubliables - et qui comptent parmi les plus justes que l'auteur nous ait offertes -, le roman met en scène le destin d'un peuple soumis à la terreur et l'héroïsme de quatre jeunes conjurés qui tentent l'impossible : le tyrannicide. Leur geste, longuement mûri, prend peu à peu tout son sens à mesure que nous découvrons les coulisses du pouvoir : la vie quotidienne d'un homme hanté par un rêve obscur et dont l'ambition la plus profonde est de faire de son pays le miroir fidèle de sa folie. Jamais, depuis Conversation à « La Cathédrale », Mario Vargas Llosa n'avait poussé si loin la radiographie d'une société de corruption et de turpitude. Son portrait de la dictature de Trujillo, gravé comme une eau-forte, apparaît, au-delà des contingences dominicaines, comme celui de toutes les tyrannies - ou, comme il aime à le dire, de toutes les «satrapies». Exemplaire à plus d'un titre, passionnant de surcroît, La fête au Bouc est sans conteste l'une des œuvres maîtresses du grand romancier péruvien.

Mon avis
Voilà un sacré roman, dont j’ai eu du mal à venir à bout tout en ayant beaucoup aimé. J’ai mis du temps à lire les presque six cents pages de La fête au Bouc.
Qu’est-ce qui a rendu ma lecture plus difficile (outre le fait que je me ramollis intellectuellement) ?
1° Ma méconnaissance des événements historiques relatés. J’ai d’ailleurs interrompu à plusieurs reprises ma lecture pour chercher des informations sur les protagonistes et événements qui sont au premier plan dans le récit ou qui sont mentionnés en arrière-plan. Disons que les personnages ne m’étaient pas immédiatement familiers, et cela rendait ma compréhension moins facile. Je sais que certains ont reproché à Vargas Llosa son didactisme, et il est vrai que le roman fourmille de précisions, d’explications. En dépit de cela j’ai eu besoin d’infos complémentaires, c’est vous dire si ce didactisme est nécessaire.
2° Le côté foisonnant du récit. Je n’avais pas lu Vargas Llosa depuis fort longtemps, mais j’avais gardé (à tort ou à raison ?) l’image d’un univers fourmillant de personnages. C’est le cas ici aussi, et comme par ailleurs je ne connaissais pas toujours les acteurs historiques évoqués, j’ai eu un peu de mal à m’y retrouver.
3° Le rythme un peu lent de la première moitié. Il faut bien sûr du temps pour mettre tous les éléments en place, et le rythme est maîtrisé : c’est moi qui suis en cause ici, pas l’auteur. Vargas Llosa prend le temps d’expliquer au lecteur les tenants et les aboutissants, parce que l’Histoire est d’une folle complexité. S’ajoutent à cela la multiplicité des personnages, acteurs de premier plan ou non, et l’entrelacement des trois récits, l’attentat qui vise Trujillo (et la longue attente qui est l’occasion de parler de chacun des protagonistes), Trujillo et son entourage, Urania enfin, à l’époque contemporaine, avec des incursions dans le passé. Mais comme c’est un gros livre et que j'étais un peu fatiguée lorsque je pouvais enfin plonger dans ma lecture, je me suis parfois sentie découragée, je m’impatientais un peu.

Pourtant, il ne m’est pas venu à l’esprit d’abandonner cette lecture. La fête au Bouc est un grand livre.
1° (c’est un billet hyper structuré, vous avez vu ?) J’ai justement découvert un pan de l’Histoire que je ne connaissais pas, et le didactisme de l’auteur est efficace ; j’ai appris des tas de choses, et même si ce n’est pas la motivation première de mes lectures, c’était très intéressant. Je suis un peu moins ignorante après avoir lu La fête au Bouc, c’est toujours ça de pris.
2° Si la première moitié m’a semblé un peu lente, la seconde m’a scotchée à mon livre, il y a un effet de crescendo très maîtrisé, très efficace, et l’alternance entre les trois récits ne fait qu’ajouter à la tension. La fête au Bouc, au final, me semble merveilleusement construit.
3° Si Mario Vargas Llosa est sans ambiguïté, condamnant la dictature de Trujillo, il brosse un portrait de l’ère trujilliste tout en subtilité, dénué de manichéisme, exempt de simplification. A travers Trujillo et ses alliés, du tortionnaire sadique au serviteur politique dévoué et patriote, ce sont différentes facettes du pouvoir que nous explorons, ce sont des esprits parfois complexes dans leur abomination. C’est dérangeant, évidemment, comme le sont certaines scènes insoutenables (de torture, ou la scène avec Urania adolescente).
4° L’ensemble est très documenté, et pourtant Vargas Llosa œuvre en romancier, à tel point qu’il est difficile de savoir ce qui relève de son imagination ou des faits vérifiés (je pense justement à l’épisode avec Urania). Peu importe. La grande réussite, à mes yeux, tient à ce que Vargas Llosa parvient à nous montrer l’entrelacement de l’individuel et du collectif (du national), de l’intime et de l’Histoire. Telle est la puissance du romancier.

Pour qui ?
Âmes sensibles s’abstenir : La fête au Bouc est un roman exigeant et souvent dur. La période de la répression qui suit l’attentat contre Trujillo est d’une violence insoutenable (et parfaitement conforme à la réalité, je n’en doute pas).

Le mot de la fin
Grand.

Mario Vargas Llosa, La fête au Bouc (La fiesta del Chivo), Gallimard/Folio, 2004. Traduit de l’espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan. Publication originale : 2000 (ed. Alfaguara). Traduit en français en 2002 (Gallimard). Lu en e-book.

2 commentaires:

zarline a dit…

Un auteur que je n'ai pas encore lu. Ton billet donne envie, vu que 1) mes connaissances sur Trujillo sont très très minces et 2) j'aime ce genre de livre touffu et complexe, mais je zieute déjà Le rêve du Celte de cet auteur, donc on verra pour la suite...

Tasha Gennaro a dit…

Pas lu Le rêve du Celte, tu me diras!