dimanche 25 février 2018

Trilogie Mc Cash de Caryl Ferey


Depuis fort longtemps, j'avais dans mon stock Plutôt crever et La jambe gauche de Joe Strummer, de Caryl Ferey (tout comme Mapuche que je n'ai pas encore lu). Je n'avais même pas remarqué que le même personnage y était utilisé, c'est vous dire si je peux acheter sur la seule foi d'un nom d'auteur. Et puis Caryl Ferey a sorti Plus jamais seul, que j'ai acheté la semaine dernière. Plutôt que de commencer tête baissée ce dernier opus, j'ai eu envie de prendre les romans dans l'ordre (même si on peut fort bien lire Plus jamais seul indépendamment, comme chaque volume d'ailleurs). Je me disais donc que, selon toute probabilité, Plus jamais seul allait rester dans mon stock pendant des lustres, car je répugne toujours à enchaîner les volumes d'une série directement. 
Que nenni! J'ai dévoré Plutôt crever, et alors que je me demandais avec quoi poursuivre, j'ai pris illico La jambe gauche de Joe Strummer, fini tard dans la nuit, avec une seule envie, retrouver Mc Cash dans Plus jamais seul. Bref, j'ai commencé dimanche et mercredi, j'avais englouti les trois volumes avec délectation. 
Avantage supplémentaire : j'ai pu mesurer les différences entre les trois, publiés en 2002, 2007 et 2018, donc. Il en fait du chemin, Caryl Ferey, et les trois volumes ont des différences d'écriture, de structure évidentes. J'ai lu sur son site que pour Plutôt crever, il avait en tête Pierrot le fou de Godard, et qu'il trouvait des défauts à ce texte, remanié quelques années plus tard pour une édition en Folio. Oui, j'ai trouvé l'intrigue échevelée, un brin maladroite, mais ça ne m'a pas gênée une seconde, parce que c'est un roman qui passe à l'énergie, énergie du polar, comme on dirait énergie rock. C'est intéressant pour une autre raison : Mc Cash n'était peut-être pas prévu pour être un personnage récurrent de l'oeuvre de Férey, en tout cas le roman propose les points de vue de plusieurs protagonistes, sans que Mc Cash se détache plus. Mais bon sang! quels personnages! et comme Mc Cash s'impose au lecteur, malgré tout. Il reprend cette tradition des personnages de roman noir, mal léchés, esquintés, avec une louche de misanthropie en plus, et je l'ai adoré d'emblée. Et puis le style de Carey est acéré, ça pétille, ça explose, ça claque. 
La jambe gauche de Joe Strummer est à mon sens plus réussi, et je crois que c'est celui des trois que j'ai préféré. Cette fois on ne tergiverse plus : Mc Cash est de retour et le roman s'organise autour de lui. L'idée folle est de lui mettre une enfant dans les pattes, et ce qu'il y a de beau, c'est que Caryl Ferey ne cède à aucun sentimentalisme de mauvais aloi, Mc Cash reste Mc Cash, brut de décoffrage, misanthrope et drôle, auto-destructeur aussi. Le regard se fait aussi plus social, plus ancré dans la représentation sans concession d'une société gangrénée par le capitalisme et le profit, mais sans pesanteur. 
Dopée à l'énergie brute de ce second opus, je me suis saisie du troisième, depuis peu en librairie. Si le deuxième est mon préféré, j'ai tout de même adoré Plus jamais seul. Pourquoi l'ai-je un peu moins aimé? Caryl Ferey s'est un peu attendri avec les années : non qu'il fasse évoluer ses personnages dans un monde de bisounours, bien au contraire, mais même Mc Cash se surprend à éprouver de l'empathie (un brin) et de l'amour paternel ou quelque chose qui y ressemble. Cet attendrissement de Caryl Ferey, je l'avais remarqué dans Condor, ce qui avait gêné ma lecture : rien de tel dans Plus jamais seul, tout de même. Et puis entre ces volumes, plus de dix ans se sont écoulés : il y a eu Zulu, Condor et Mapuche, entre autres. J'ai le sentiment que l'on assigne plus volontiers à l'auteur la mission de porter témoignage sur la réalité socio-politique de différents pays, et si cela est parfois parfaitement réussi (Zulu, nom de dieu, Zulu!), c'est parfois plus lourd. Condor m'a semblé parfois un peu didactique. Dans Plus jamais seul, sans que cela alourdisse vraiment le roman, il y a des passages sur l'enfer vécu par les migrants, sur la Grèce et l'Europe. J'insiste : cela ne m'a pas gênée et c'est bienvenu dans le roman. Mais La jambe gauche de Joe Strummer ne s'embarrassait pas de ces explications, et le roman s'en trouvait dopé à l'énergie pure. Ceci étant dit, j'ai galopé dans Plus jamais seul avec bonheur, et je n'espère qu'une chose : que Caryl Ferey trouvera un nouveau terrain de jeu pour Mc Cash, que je ne vais pas oublier de sitôt. 

Caryl Ferey, Plutôt crever, 2002, Gallimard Série Noire, réédition en Folio, 2006. 
Caryl Ferey, La jambe gauche de Joe Strummer, Gallimard Série Noire, 2007, disponible en Folio.
Caryl Ferey, Plus jamais seul, Gallimard Série Noire, 2018. 
Les trois volumes sont disponibles en ebook. 


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