samedi 3 février 2018

L'été circulaire de Marion Brunet


Présentation (éditeur)
Une petite ville du Midi. Un été brulant. Céline, 16 ans, se retrouve au coeur d'un drame qui fait voler en éclats sa famille. 

Ce que j'en pense
La sortie de ce roman était précédée d'avis très élogieux de personnes diverses (écrivains, lecteurs) ayant eu la chance de le découvrir en avant-première. Comme je peinais un peu dans ma lecture du moment (reprise ensuite), j'ai plongé dans le roman de Marion Brunet. Je n'ai pas été surprise par l'intrigue et je ne crois pas que Marion Brunet mise sur des effets de surprise : j'ai compris très vite qui était le père de l'enfant que porte Céline, j'ai saisi que la tension entre Saïd et le père allait dégénérer et que la fête à laquelle se rend Jo allait poser problème. Mais ça n'a pas d'importance, l'essence du roman est ailleurs, et de toute façon, le dénouement m'a bouleversée "malgré" cela. 
Une première chose frappante est la manière dont Marion Brunet donne corps à son univers : le corps des personnages, la chaleur de l'été dans ce Sud un peu pourri (par le racisme, par les différences de classes), l'éveil ou la mise en sommeil des sens. N'attendez pas du pittoresque et du santon de Provence : si les cigales, les amandiers et mille autres caractéristiques sont là, il n'y a rien de joli, de charmant dans ce sud, les accents ne chantent pas. C'est un étouffoir, un espace qui emprisonne, quand on n'y est pas riche et peu éduqué. Reste que je sentais la chaleur, le feu du soleil, et c'est une force de l'écriture de Marion Brunet.
La deuxième chose que je voudrais évoquer, ce sont les personnages. Quel talent pour les faire exister, leur donner une voix, un corps, pour faire ressentir l'impasse de leur existence! Pas de misérabilisme, seulement des constats qui n'invitent pas à la joie. Marion Brunet a un regard social impitoyable sur ces classes populaires qui commencent à avoir une existence dans le roman français. Pas des misérables, mais des gens qui travaillent très jeunes, sans espoir d'évolution sociale : ouvriers exerçant des métiers durs (eh oui, maçon, c'est dur), saisonniers, ou pour les femmes, des boulots sans  formation, souvent précaires. Et les lotissements, l'isolement hors des villages... 
J'ai été remuée aux tripes par les personnages des parents, Manuel, Séverine, trop tôt parents, et pourtant bouleversés de l'être (ah, l'aveu de Manuel à sa fille!), trop tôt au travail, usés, fatigués, piégés socialement. Ni misérabilisme ni angélisme : oui Manuel boit trop, oui il est violent (le roman s'ouvre sur une scène de violence familiale glaçante). Même chose pour Patrick : impossible d'aimer ce personnage, impossible tout autant de ne pas être ému par lui... Elle est forte, Marion Brunet, très forte. Jamais elle ne se/nous met en position de juger. 
Et Céline et Jo, comme je les aime... Ce n'était pas gagné, et un mauvais auteur aurait réduit Céline à un statut de cagole... Mais rien de tel. Bien sûr, j'ai une affection particulière pour Jo (ce n'est pas un hasard, "Jo", pas possible), déjà en décalage par rapport à son milieu social, future transfuge sociale peut-être, un magnifique personnage. Sa découverte qu'un autre monde est possible (ou pas), ailleurs, avec des livres, du théâtre et de la musique, un monde qui exclut et appelle tout à la fois. Mais j'ai aimé Céline aussi, son innocence de fille trop belle et trop vite grandie, sa fragilité et ses codes de séduction. C'est une enfant, Céline, et sa grossesse n'y change rien. 
Le roman m'a tourné les tripes : les scènes avec les grands-parents sont à tomber de justesse et d'émotion rentrée, les évocations de la jeunesse des parents aussi. Quant à la fin, qui nous ramène au titre du roman, quelle splendeur. Rien de spectaculaire, juste la vie. 

Marion Brunet, L'été circulaire, Albin Michel, 2018. Disponible en ebook. 


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