mercredi 28 février 2018

Les librairies de ma vie #2 Une adolescence dans les années 80

Image empruntée ici

Enfant, donc, j'avais ma came grâce à mes parents, essentiellement : Martine, Caroline, puis Alice, et des achats de hasard, par exemple dans la collection 1000 soleils et une autre, pour Les Misérables de Victor Hugo, lu (et pas bien compris) quand j'étais au CM2.

A l'adolescence, on continue sur la même lancée, sauf qu'en 6ème, je découvre Agatha Christie : c'est le rayon Livres des Nouvelles Galeries qui me pourvoyait, pour l'essentiel. Pas de librairie, donc.
Cependant, en 5ème, à l'occasion d'une sortie au cinéma avec des copines, j'ai obtenu un crochet par la librairie toute proche. C'était alors une librairie importante du centre-ville, une institution que j'allais fréquenter ensuite, au lycée, avant qu'elle ne ferme ses portes en 1990 ou 1991 (en cédant la place à un point de vente presse/librairie/papeterie qui existe toujours). Pourquoi ce crochet? Parce que j'avais découvert Victor Hugo poète dans mon manuel scolaire, et que, ayant quelques sous en poche, après avoir vu un navet terrifiant (Rambo 2), j'avais sans doute besoin de me laver les neurones. Je me revois entrer avec mes copines, un petit groupe de presque fillettes de 5ème, probablement mal dégrossies, et moi qui m'extrais de notre petit groupe bruyant pour demander à la libraire, pas intimidée le moins du monde, Les Contemplations de Victor Hugo, que j'ai donc eu en Poésie Gallimard (volume que j'ai toujours).
Quand j'y repense, d'ailleurs, ça me sidère un peu: aucune gêne de ma part. Ni vis-à-vis de mes camarades (qui n'avaient aucune envie de traîner dans une librairie mais n'ont fait aucune remarque), ni vis-à-vis des libraires. Sans être absolument à l'aise (c'était la première fois que j'allais dans cette librairie), je n'ai pas hésité une seconde à entrer, encore moins à demander ce que je voulais. Aujourd'hui, je perçois pourtant que les librairies peuvent être intimidantes, je vois parfois des lycéens ou des collégiens  qui ne savent où chercher les livres (pour l'école) mais n'osent pas demander, et j'ai constaté la morgue involontaire de libraires dans des institutions vénérables ; je ne citerai pas de lieux, mais je songe à une librairie bruxelloise, à une autre dans le 6ème arrondissement à Paris. Cet entre-soi qu'on y entretient me révulse. Mais j'avais déjà l'assurance d'une lectrice, il faut croire, et puis c'était dans ma ville de province, où le snobisme n'était pas de mise. J'ai demandé mon recueil de poésie, on me l'a tendu et basta.

Cependant, les librairies sont restées des lieux rares pour moi durant les années collège. J'habitais à la campagne, et dans les virées "en ville" avec ma mère (essentiellement), je continuais à acheter des livres en supermarché ou aux Nouvelles Galeries. J'ai le souvenir pourtant d'un passage dans une autre librairie de ma ville, rue Jules Guesde (il y en avait plusieurs dans cette rue proche d'un grand lycée doté de classes préparatoires), avec ma marraine. J'étais en 4ème ou en 3ème, je ne sais pas trop, et je découvrais le cinéma de Chaplin. Ma marraine m'a emmenée à la librairie où j'ai choisi un livre sur le cinéaste, pas une biographie, non, une analyse de son cinéma. C'était une librairie très haute de plafond, pas très bien éclairée, avec une partie des rayonnages sur la mezzanine. Elle a ensuite déménagé (vers les Halles centrales) et a changé de nom, les locaux initiaux cédant la place à un photographe pour plusieurs années.

Les années lycée, en revanche... J'ai intégré ce lycée de centre-ville, je m'y suis sentie merveilleusement bien. Toutes proches, plusieurs librairies (3 ou 4), et pas loin non plus, des cinémas (4, oui, 4), et des cafés. Il y avait face à l'entrée des élèves la librairie où j'avais acheté Les Contemplations, mais ma prédilection allait à une petite librairie située plus haut dans le centre. Elle était tenue par deux personnes, une femme et un homme, deux spécimens jeunes et pourtant tout droit sortis des années 1970, des hippies comme on disait encore à l'époque. C'était une librairie spécialisée dans les formats poche, et elle s'appelait "Les yeux dans les poches". C'était dans une rue historique de la ville, c'était petit, chaleureux, et on n'y jugeait jamais les lectures des clients. Nous étions dans la deuxième moitié des années 1980, il y avait encore des librairies loin de toute logique de chaîne et de franchise, et des disquaires, des cinémas en masse. Je lisais de tout, surtout des classiques, j'allais beaucoup au cinéma grâce à une carte jeune et des tarifs qui n'ont rien à voir avec les 10 euros qu'il faut aujourd'hui lâcher pour voir un film, j'achetais des vinyles, des cassettes et mes premiers CD, de Springsteen, Prince (mes goûts musicaux étaient très mainstream), je passais des heures à la Tabatière à côté du lycée, en lisant Première, Best et Rock and Folk. Est-ce que c'était des années merveilleuses dont j'ai la nostalgie? Non, il y avait des aspects nettement moins marrants sur le plan personnel, sur le plan politique (la montée du FN), et c'était les années fric, mais je m'en souviens comme d'années où j'ai pris une première dose d'autonomie, où j'ai commencé à traîner longuement dans les librairies. 
L'une des librairies a donc déménagé pour un lieu plus moderne, plus clair : c'était Page et Plume, et c'était formidable. J'étais une cliente assez muette : je flânais, je choisissais, je savais parfois ce que je voulais en entrant. Je n'avais recours aux libraires que pour passer des commandes quand c'était nécessaire. De même que j'avais demandé, à douze ans, mon recueil de poésie sans hésiter, je me sentais comme un poisson dans l'eau dans les rayons de la librairie. Cela a duré des années, au moins dix je dirais, cette manie de traîner entre les livres pendant des siècles. Adolescente, j'avais peu d'argent mais je n'ai jamais eu l'impression de trop me restreindre dans mes achats de livres. Il faut dire que je savais encore repartir avec un seul livre (contrairement à maintenant), en poche dans 99,99% des cas. Et je me souviens que certains livres me semblaient chers : ainsi Antigone d'Anouilh, uniquement disponible alors à la Table Ronde (je crois), pas en poche en tout cas, trop cher pour moi, ou Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq. Les positions de Gracq sur le poche me donnent encore envie, aujourd'hui, de sortir la boîte à baffes: sans les poches, je n'aurais pas lu ce que j'ai lu dès 12 ans, et les bibliothèques n'y auraient pas changé grand chose. Pas de livre dans l'entourage familial, pas d'habitude en médiathèque, je dois tout aux librairies et aux collections de poche.
L'adolescence est pour moi liée à ces librairies, autant qu'aux cinémas et aux cafés où je passais beaucoup de temps. Parce qu'il n'y avait pas de livres à la maison, j'ai aimé tôt avoir des livres à moi, achetés neufs ou non, lus, parfois relus. 




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