mercredi 25 février 2015

Les initiés de Thomas Bronnec


Présentation
Quelques années après la chute de Lehman Brothers, alors que le monde politique voit enfin la sortie de crise à l’horizon, le Crédit parisien est sur le point de sombrer. La plus grande banque française a besoin d’un plan de sauvetage en urgence mais la ministre de l’Économie, au sommet des sondages, symbole de la gauche revenue aux affaires, entend tout faire pour que Bercy ne mette pas sur pied un plan similaire à celui de 2008 lors de la crise des Subprimes. 
Au milieu du champ de bataille, s’opposent pouvoirs publics et monde de la finance.

Ce que j’en pense
Voilà de la belle ouvrage. J’ai souvent pensé à Margin Call en lisant Les Initiés: non qu’il soit vraiment question des mêmes choses et bien sûr, le contexte est tout à fait différent (du moins géographiquement), mais tout de même, il y a des points communs. Le monde de la finance, ici au niveau de l’état, dans toutes ses collusions, compromissions, complicités avec le monde de la banque ; le côté huis-clos, certes beaucoup moins que dans Margin Call, mais c’est tout de même l’impression que j’en retiens, avec le paquebot Bercy ; des personnages qui naviguent entre inconscience totale des conséquences de leurs actes et cynisme absolu, pris dans les rets d'une corruption qui ne se voit même pas comme telle. 
Il n’y a rien - pour autant que je puisse en juger - de manichéen ou de simpliste dans la peinture de Thomas Bronnec: de la nuance, de la finesse, plutôt. C’est d’autant plus glaçant. C’est que les personnages, y compris le banquier, croient vraiment qu’ils mettent leurs compétences au service de l’état et des citoyens. Les élites -politiques ou technocrates, qui se confondent souvent - tournent en orbite dans leur univers d'argent et de chiffres, et ils érigent leurs choix idéologiques en dogme intangible, broyant ceux qui se refusent à y adhérer (la ministre, les deux jeunes mortes) et ralliant au dogme les autres. C’est que c’est un milieu hautement incestueux, qui se reproduit incessamment. Au-delà d’une idéologie dominante, la charge est selon moi dirigée contre l’ENA, machine à fabriquer des élites prêtes-à-penser, ou plutôt à ne pas penser: un beau gaspillage d’intelligences et de compétences. Tous ces gens cultivent l’entre-soi, et gare à qui ne vient pas du sérail: ce sont les initiés. Ils se sentent aussi initiés parce qu'ils croient savoir et comprendre ce que les "autres" ignorent, ne perçoivent pas, pris qu'ils sont à leurs yeux dans des positions idéologiques stupides et hors d'âge. Cela leur confère une morgue inouïe, car ces initiés sont inconscients de leur adhésion à une idéologie et convaincus de leur supérieure clairvoyance.
Littérairement, c’est impeccable: une écriture sobre, efficace, une construction remarquablement maîtrisée, une dimension didactique toujours habile et accessible. Thomas Bronnec maîtrise parfaitement son sujet et il sait le rendre clair et diablement romanesque. C’est de l’excellent roman noir, tragique, politique, glaçant. A lire absolument!


Thomas Bronnec, Les initiés, Série Noire, 2015. Disponible en ebook. 

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