vendredi 17 octobre 2014

La maison des chagrins de Victor Del Arbol


Présentation (éditeur)
Une violoniste virtuose commande à un peintre brisé le portrait du magnat des finances qui a tué son fils. Elle veut déchiffrer sur son visage la marque de l’assassin. Pour cautériser ses propres blessures, elle ouvre grand la porte de la maison des chagrins dont personne ne sort indemne. Un thriller viscéral qui conduit chaque être vers ses confins les plus obscurs. 

Ce que j'en pense
Victor Del Arbol m'avait enthousiasmée avec La tristesse du samouraï, et j'abordais avec confiance La maison des chagrins. J'ai tout de suite aimé les personnages, aussi bien ceux qui sont affichés comme victimes que les présumés bourreaux. L'auteur s'y entend pour brosser un portrait en quelques pages, en quelques actes, et si les apparences cèdent parfois la place à une réalité plus complexe, l'impression première n'en est pour autant pas effacée. Les gens ne sont pas seulement ce qu'ils semblent être, c'est tout. 
La construction est d'une maîtrise remarquable. Jamais Del Arbol ne s'égare, tout se met peu à peu en place, et à mon sens, peu d'auteurs savent retomber sur leurs pieds avec autant de grâce après avoir mis en place un tel chœur de personnages englués dans des histoires qui se recoupent. 
Enfin, j'ai apprécié de ne pas lire une redite du précédent roman. Del Arbol délaisse les plaies de l'histoire espagnole, pour explorer les méandres de l'âme humaine, chez des êtres marques par leur histoire (qui rejoint notamment l'histoire tragique de l'Algérie) et par une soif de réparation, condition illusoire du deuil. 
Et pourtant... Pourtant je n'ai pas adhéré. J'ai été touchée par ces trajectoires brisées, mais deux choses m'ont gênée. La première est la somme de ces destins brisés. Quel regroupement d’éclopés! Personne n'est épargné, tout le monde ne connaît que l'horreur, certains ont connu brièvement le bonheur mais pour se le faire arracher avec une brutalité inouïe. Certes, c'est un roman noir, mon genre de prédilection, mais ce jusqu'au-boutisme dans la noirceur portée par les personnages m'a pesé. A chaque nouvelle révélation de vie fracassée, j'avais envie de crier grâce, n'en jetez plus.
La seconde est la perfection même de la structure. Chacun est mû, d'une manière ou d'une autre, par un besoin de réparation, je le disais, par une volonté de destruction aussi et chacun se retrouve le jouet de quelqu'un d'autre. Tout cela se met parfaitement en place, mais j'ai envie de dire, trop parfaitement. Chaque rouage en entraîne un autre, et au final, l'horlogerie est superbe mais peu crédible, l'intelligence de l'auteur me semble excessive et contrevient à mon sens à la vraisemblance. Il n'y a aucune place pour le hasard, et rien ne rate dans ces vies dédiées à la vengeance. J'exagère quelque peu mais c'est l'impression que j'ai eue. Le roman noir propose souvent un tragique lié à l'absurdité des actes, aux ratages et aux hasards ironiques. Tout est trop bien huilé ici. 
Par son intelligence écrasante, le roman m'a finalement laissée en dehors. Je suis allée au bout sans déplaisir mais sans enthousiasme. 
Ces grosses réserves mises à part, je pense néanmoins que Victor Del Arbol est un romancier de premier plan, et je continuerai à le suivre.

L'avis beaucoup plus positif de Jean-Marc Laherrère est ici


Victor Del Arbol, La maison des chagrins (Respirar pour la herida), Actes Sud/Actes Noirs, 2013. Traduit de l’espagnol par Claude Bleton. Publication originale: 2013. 

Aucun commentaire: