Présentation
Boston, 1926. En pleine
Prohibition, l’alcool coule à flots dans les speakeasies et Joe, le plus jeune
fils du commissaire adjoint Thomas Coughlin, est bien décidé à se faire une
place au sein de la pègre. Il commence par braquer un bar clandestin appartenant
à un caïd local et, surtout, commet l’erreur de séduire sa maîtresse. La
vengeance ne se fait pas attendre et Joe se retrouve derrière les barreaux.
C’est là qu’un vieux parrain, Maso Pescatore, se charge de son « éducation » et
que la carrière de Joe va prendre son essor. De la Floride à Cuba, Joe fait son
chemin, pavé d’embûches, de luttes et de trahisons, parmi ceux qui « vivent la
nuit ».
Mon avis
Je l’abordais avec appréhension, celui-là… Moonlight Mile était sans conteste un volume faible de la série
Kenzie & Gennaro (mais ça se lisait bien et ça valait bien mieux que le
tout venant, que ce soit dit), et même si je suis la seule sur la planète, je
n’avais pas été embarquée par Un pays à
l’aube, trop lent, trop « mon grand roman américain »…
Mes craintes ont été balayées dès la première page, rien que ça, et si
l’on prend en compte une interruption involontaire de ma lecture durant deux jours
(grippe), j’ai liquidé le roman en deux jours et demi. J’ai retrouvé le grand,
le très grand Lehane que j’aime, celui qui utilise le roman noir comme
personne, pour raconter des histoires formidables et aussi pour sonder le monde
comme il va (l’Amérique mais pas que). La construction peut sembler classique
mais elle est impeccable, je n’ai pas vu passer les cinq cents pages et j’avais
du mal à m’arracher à ma lecture.
Cette fois il s’intéresse à Joe Coughlin (cf. Un pays à l’aube, mais pas besoin de l’avoir lu pour aborder Ils vivent la nuit) et dieu que j’ai
aimé ce personnage ! J’y viens dans un instant. Dennis Lehane explore les
codes du roman noir et tout y est : la Prohibition, les speakeasy, les caïds et les filles, le
passage en prison, l’ascension – pas si fulgurante – et la déchéance d’un
gangster, les flics corrompus et les acolytes qui se donnent au plus offrant,
et même l’ami d’enfance qui fait le coup de feu aux côtés du héros depuis
toujours, entre traîtrise et loyauté. J’ai parfois pensé à Il était une fois en Amérique et croyez-moi, de ma part, c’est un
compliment. On quitte Boston pour la Floride, le whisky pour le rhum, et on y
est, on respire les odeurs, on sent la chaleur, on voit les rues et les
mangroves. Dennis Lehane parvient à construire une histoire captivante et
pleine de vie en utilisant les codes du genre avec un talent fou d’écrivain et
de conteur, et rien que pour ça, Ils
vivent la nuit vaut le détour.
Et puis il y a la force des personnages. Si Emma est rapidement un
fantôme hantant l’esprit de Joe (je n’en dis pas plus), Graciela est l’autre
personnage féminin du roman, le plus beau sans doute (bon, Loretta est pas mal
non plus, dans un autre genre). Les rôles secondaires ne le sont que par le
nombre d’apparitions, pas par l’importance, car qui pourrait penser en lisant Ils vivent la nuit que le père de Joe ou
Dion sont des personnages d’un intérêt secondaire ? Ils sont essentiels et
Dennis Lehane leur donne vie de manière extraordinaire. Enfin, que dire de
Joe ? C’est un personnage magnifique, complexe, auquel je me suis attachée
tout de suite. Sa part d’ombre en fait un héros typiquement
« lehanien » : sa relation à son père, à ses frères, aux femmes
qu’il aime, à son boss, à son ami, tout en fait un être nocturne et compliqué ;
ce n’est pas une belle personne (personne ne l’est tout à fait chez Lehane)
mais c’est un somptueux personnage, pour qui l’on vibre tout au long du roman. Il
a bien des traits du tough guy, du
dur-à-cuire du roman noir, mais il s’en distingue aussi, par sa peur, pas ses
angoisses, par sa certitude d’être mortel. Il y a des pages bouleversantes dans
ce roman : oh ! pas parce qu’il y a de grandes scènes émouvantes à
souhait, non, c’est le regard porté sur le monde, cette certitude que malgré
tout, le paradis est ici et nulle part ailleurs, qui remuent les tripes.
Enfin, il y a dans Ils vivent la
nuit cette capacité qu’a tout roman noir digne de ce nom (à mes yeux) de se
servir du divertissement que constitue un récit habile et captivant pour faire
un constat sans concession sur le monde. Nul n’est innocent, et surtout pas ce
grand pays qu’est l’Amérique : les échecs et erreurs du passé (la
Prohibition, la crise de 1929, Cuba…) valent pour lecture du présent, et Dennis
Lehane n’assène jamais de réponse toute faite. Du pire peut-il advenir le
Bien ? Mais qu’est-ce que le Bien, d’ailleurs ?
Bref, j’ai adoré Ils vivent la
nuit, au point que j’envisage de relire Un
pays à l’aube (c’est vous dire), à moins que je ne relise les Kenzie et
Gennaro. Je n’ai pas envie de quitter l’univers de Lehane.
Et que Miss Cornélia soit mille fois remerciée pour m’avoir offert le
roman !
Dennis Lehane, Ils vivent la nuit
(Live by Night), Rivages/Thriller,
2013. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Maillet. Publication
originale : 2012.
4 commentaires:
Je n'ai pas encore lu celui-ci, mais j'avais apprécié "Un pays l'aube". Mes Lehane préférés restent toutefois les Kenzie et Gennaro !
Oh moi aussi, j'ai de très grands souvenirs de un dernier verre avant la guerre, de Gone baby gone...
Tu ne peux pas savoir à quel point j'admire ta manière de tourner tes billets, celui-ci par exemple, aussi élégant que convaincant !
Je n'irai pas jusqu'à dire que je vais lire le roman dans la foulée car en ce moment je suis trèèès difficile (comprendre : je me demande de quoi j'ai envie !)...
Oh c'est troo gentil! Je connais la sensation dont tu parles, il y a des moments où rien ne nous tente, tout nous tombe des mains... C'est déconcertant, non?
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