dimanche 7 juillet 2013

Clandestin de Philip Caputo


Présentation (éditeur)
Gil Castle, homme d'affaires new-yorkais, ne se remet pas de la disparition brutale de sa femme. Après une longue dépression, il décide de tout abandonner pour s'installer seul avec son chien en Arizona, dans une petite bicoque perdue au milieu des terres familiales, près du ranch de son cousin. Là, à quelques encablures de la frontière mexicaine, il commence peu à peu une nouvelle vie, s'enivrant le jour de la beauté des paysages, lisant Sénèque la nuit. Mais, en recueillant un immigré clandestin, rescapé d'un deal de drogue ayant mal tourné, il va faire connaissance avec la face obscure de la frontière, celle qui, depuis des générations, pèse sur sa famille. Et avec l'apparition d'Yvonne Menendez, figure haute en couleur d'un cartel mexicain, le passé et le présent ne vont pas tarder à converger vers un final étourdissant.

Mon avis
Et voilà pour le premier pavé de l’été (challenge lancé par Brize!), dévoré dans les trois premiers jours de juillet ! J’avais repéré Clandestin à sa sortie mais son caractère de pavé (à lire et surtout à RANGER) m’avait découragée ; cependant, quand j’ai vu le volume en poche, allez comprendre, j’ai eu une envie irrépressible de le lire. Le roman m’a rapidement emportée, j’ai aimé cette alternance de récits, l’un se situant dans l’Amérique post-onze septembre, avec un homme d’âge mûr dévasté par la perte de son épouse (à bord de l’avion jeté contre une tour), l’autre nous ramenant dans ce territoire que se disputent USA et Mexique, avec des personnages dont on comprend assez vite qu’ils sont les aïeuls de notre contemporain, nommé Gil Castle.
La construction est impeccable, elle introduit un rythme romanesque très séduisant pour le lecteur ; Philip Caputo s’y entend pour brosser des personnages, qu’il s’agisse des Américains pris au piège de l’histoire de leur famille (et de leur pays, j’y reviendrai) ou des Mexicains, pauvres ouvriers et paysans désireux de trouver en Amérique un salaire plus décent, ou bien trafiquants en tout genre, trafiquants d’hommes (les passeurs) et de drogue. Yvonne Menendez, une espèce de veuve noire ultra-violente et sanguinaire, est particulièrement réussie, tout comme l’est notre famille de ranchers et de vaqueros. Je me suis rapidement attachée à ces personnages, j’ai eu ce sentiment si particulier que nous procurent les grands romans, celui de connaître ces hommes et ces femmes. Je vibrais pour eux, avec eux, et j’ai terminé le roman tard dans la nuit, incapable de lâcher le livre : il y a de nombreuses péripéties dans Clandestin, mais la tension finale est incroyable, captivante.
Je ne suis pas une spécialiste de la littérature américaine mais il y a chez Philip Caputo (journaliste ayant reçu le prestigieux prix Pulitzer pour l’une de ses enquêtes) de cette tradition des écrivains reporters de la grande époque, celle d’Hemingway, même si leurs styles sont différents. Il y a cette même façon d’empoigner le réel, avec force documentation, d’y imprimer sa vision tout en gardant un souffle romanesque remarquable.  Philip Caputo nous propose sa vision de l’Histoire des Etats-Unis ainsi qu’une sorte de thèse, qui lui est directement liée. Il nous parle d’un pays fondé dans la violence (pas un scoop, me direz-vous), dont les citoyens sont toujours, à un moment ou à un autre, rattrapé par la nécessité de prendre parti. Le personnage de Gil fuit New York non pour fuir sa douleur mais pour fuir le monde et sa violence, pour fuir l’Histoire ; c’est pourtant le monde qui le rattrape en la personne de ce clandestin trouvé près de sa maisonnette. Il est obligé de prendre parti et de prendre part au monde. Il n’est qu’un parmi des millions mais il fait aussi l’Histoire de son pays, cette Histoire tissée de violence et de courage que représente son aïeul Ben. Gil ne peut échapper au monde, il ne peut échapper au passé familial (comme les Etats-Unis), il doit expier, d’une certaine façon, les fautes commises. Philip Caputo va plus loin, toujours en faisant de la destinée individuelle des personnages le reflet de l’Histoire des Etats-Unis. La veuve noire à la tête du cartel mexicain est animée par l’appât du gain mais aussi et surtout par une vendetta personnelle : l’aïeul Ben Erskine a tué l’un des siens jadis, elle veut donc se venger sur la famille de Gil, sur Blaine, descendant direct de Ben, qui a avec lui bien des points communs, à commencer par ce drôle de sourire, sa violence sourde aussi. La guerre entre narco-trafiquants mexicains et Américains est aussi une guerre entre des peuples, la guerre que mène le Mexique aux Etats-Unis qui l’ont spolié d’une partie de sa terre. Les guerres du passé se poursuivent donc, d’une autre manière, tout aussi violente. La richesse du roman est de nous offrir cette vision par les deux points de vue, sans manichéisme.
Avant d’écrire une chronique aussi longue que le roman, j’ajouterai un mot sur la longueur, justement : je ne vois pas ce que Philip Caputo aurait pu enlever, et si je suis bien consciente qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle, je n’ai pas senti de ralentissement, de longueur. J’ai dévoré les presque 800 pages en trois jours : il ne faut donc pas se laisser intimider par le pavé !

Pour qui ?
Pour les amateurs de romans-fleuves.

Le mot de la fin
Epique. 
(j'ai hésité avec : Un pavé saignant. Hum)

Philip Caputo, Clandestin (Crossers), Le Cherche-Midi, 2012. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau. Disponible en Pocket (2013) : 763 pages.  Publication originale : Alfred A. Knopf, 2009.





8 commentaires:

Unknown a dit…

Mmm ça donne envie...merci pour ton billet!

Tasha Gennaro a dit…

Merci!

keisha a dit…

Chic, il est en poche!
Je l'ai lu à sa sortie, en effet on ne sent absolument pas les 800 pages, j'ai adoré!

Tasha Gennaro a dit…

Oui, incroyable, ça se dévore!

Kathel a dit…

C'est amusant, j'avais écrit la même chose, je crois : qu'il n'y a rien à enlever dans ce livre... J'en garde un vif souvenir !

Tasha Gennaro a dit…

Tu avais fait un billet? Si oui, je vais mettre le lien! C'est toujours une question que je me pose après avoir lu un gros roman : l'auteur aurait-il pu faire plus court? Là je ne vois pas!

Brize a dit…

Je craignais l'aspect documentaire mais ton billet est très rassurant à cet égard puisque tu as été happée par ce roman !

Sinon, je te comprends pour l'aspect rangement, qui joue aussi chez moi.

Et j'aurais bien aimé que tu mettes "un pavé saignant" ;)!

Tasha Gennaro a dit…

Non, en effet, pas de pesanteur documentaire comme dans certains romans... J'ai passé mon dimanche à ranger ma bibliothèque, à trier, à mettre de côté ce qu'il fallait donner. J'ai même eu le plaisir de retrouver des livres ensevelis et... oubliés! Le soir, je me suis dit que j'aimais les livres, mais que ma liseuse était une bénédiction!