samedi 20 octobre 2012

Bad City Blues de Tim Willocks


Présentation (quatrième de couverture)
Callie, ex-prostituée camée à la cocaïne, réussit le casse du siècle en braquant la banque de son mari : un million de dollars à partager avec Luther Grimes, un vétéran du Vietnam reconverti dans le trafic de stupéfiants. Pour doubler son complice, la belle séduit son frère, Cicero Grimes, un psy déjanté. Et le capitaine Jefferson, un flic sadique, espère bien récupérer sa part du butin…
(franchement, j’ai renoncé à faire mieux, par paresse, mais ce prière d’insérer n’est pas terrible, il rabaisse le roman à du déjà-vu)

Mon avis
Après Doglands, cap sur la production adulte de Tim Willocks. Comme je ne voulais pas me lancer dans la lecture de La Religion, j’ai opté pour ce roman noir, Bad City Blues, titre prometteur s’il en est… Je n’ai pas été déçue.
Une fois de plus, c’est du très très noir, ultra-violent, et je reconnais qu’on n’est pas obligé d’aimer. Les personnages sont tous aussi déjantés les uns que les autres, hors normes, et tout n’est ici que sexe, violence et larmes. L’intrigue en elle-même, si on la résume, n’est pas si originale : une femme, deux hommes qui sont ses amants, un flic pourri jusqu’à la moelle, et un fabuleux magot convoité par chacun d’entre eux (je simplifie). Mais l’essentiel n’est pas là, l’écriture et le traitement des personnages font tout l’intérêt de ce roman.
Aucun personnage n’est aimable, tous sont intéressants. Enfin, je dis tous, mais à la vérité, on a là du roman fortement « testostéroné » (j’invente un mot, non ?). Callie et la fugitive Anna, à mon sens, n’acquièrent pas de véritable épaisseur. Certes, on sent bien que la seule chose qui importe à Callie est son indépendance, la volonté de ne plus être soumise à la volonté d’aucun homme, mais les personnages qui intéressent l’auteur, et le lecteur avec lui, sont les personnages masculins. Tous sont à mon sens détestables et passionnants tout à la fois. Jefferson est un spécimen réussi d’ordure complexe, mais j’ai été beaucoup plus touchée par les trois membres de la famille Grimes. Jefferson, George, Luther et Eugene Grimes, ainsi que Carter, présent au tout début du roman, interrogent chacun à leur manière notre rapport à la violence, celle de l’autre, la leur surtout, liée à leur histoire. A un extrême, on a Carter, bigot et banquier qui fait le choix de l’hypocrisie, masquant ses pulsions de domination sous sa foi religieuse ; à l’autre extrême on a Jefferson, qui est très tôt confronté à la violence (sous l’une de ses formes les plus abjectes probablement) et qui connaît celle qu’il porte, celle des autres, et en use et abuse, sans illusion sur lui-même et les autres. Si ce n’est qu’il emprunte le masque de la respectabilité que lui confèrent ses fonctions (Carter en fait les frais), on sent bien qu’il n’y a pas d’hypocrisie en lui. La famille Grimes est elle aussi enfermée dans un cycle de violence (auto)destructrice. Le père, personnage magnifique à mes yeux, a usé de sa violence en essayant de lui donner du sens (la révolte sociale), tout en sachant quelles pulsions destructrices l’animaient alors, conscient aussi des conséquences terrifiantes que ses choix ont eu sur ses fils. Luther, le fils aîné, a fait très tôt le choix de la violence la plus extrême, devenant un « psychopathe discipliné en quête de la mort » : un soldat. Combattant redoutable, il commet l’irréparable violence qui bouleverse la vie de son frère avant de prendre la fuite, lequel s’est juré de le retrouver et de le tuer. Ce frère, justement, Eugène Grimes, est tout aussi torturé que son aîné : il est celui qui tient le plus efficacement sa violence en laisse, du moins jusqu’à sa rencontre avec Callie, dont son frère est l’artisan. Ses pulsions sont tout aussi sombres que celles de Luther.
Chez Willocks, personne n’est innocent, personne n’échappe à la violence du monde, pas plus qu’à ses pulsions de mort. C’est tout l’intérêt à mon sens de ce roman : la vision, extrêmement sombre, de l’humain, qui est en même temps une vision déchirante, tragique, bouleversante. Personne n’est innocent, mais tout le monde essaie de composer avec cette donnée – à part Jefferson, plus désabusé que les autres personnages – et de limiter les dégâts.
Il y a quelques scènes particulièrement réussies ou qui en tout cas m’ont davantage touchée : le face-à-face entre Luther et son père, les dialogues entre Jefferson et Grimes. L’ensemble du roman est parfaitement maîtrisé : on ne souffle pas mais on ne s’essouffle pas non plus. C’est un univers oppressant comme le bayou, poisseux comme les bas-fonds de la Nouvelle-Orléans, d’une noirceur telle qu’il est un peu difficile de passer à autre chose, d’entrer dans un autre roman. Un conseil : avant de refermer le livre, relisez le prologue, qui prend alors tout son sens (mais qui est un peu cryptique à la première lecture)…

Pour qui ?
Pour les amateurs de roman noir TRES noir.

Le mot de la fin
Je le laisse à Tim Willocks, dans une évocation de la Nouvelle Orleans qui synthétise toute la noirceur de cet univers :
« La ville était un puzzle dément de splendeur et de ruine, de joie et de tristesse, de régénération et de pourriture. Contrairement aux villes plus récentes à la croissance démesurée qui, sur les côtes Est et Ouest, attiraient l’attention par leurs cris, ou au monstre austère, tapi sur les rives du lac Michigan, la ville existait depuis trop longtemps et elle en avait trop vu pour ressentir la nécessité de porter un masque particulier. C’était un sac rempli pêle-mêle de tout ce putain de monde, que l’on avait secoué et vidé sur une langue de terre, à la lisière du continent où, avec un peu de chance, le reste du pays ne lui prêterait pas trop attention. »

Tim Willocks, Bad City Blues (Bad City Blues), Editions de l’Olivier, 1999. Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Elisabeth Peellaert. Lu dans l’édition Points/Roman noir. Publication originale : Random House, 1991. 

Et hop! un roman qui entre dans le challenge de Myrtille:


6 commentaires:

Emeraude a dit…

J'ai beaucoup aimé ce roman. Et pourtant je ne me souvenais pas du tout de l'intrigue !! Ce que j'ai aimé c'est effectivement ce côté très noir, très psychologiquement noir. Je me souviens avoir vu le film batman "the dark knight" peu de temps après avoir lu bad city blues et j'y ai trouvé une forte similitude au niveau de la violence et de comment ça vous prend aux tripes...

Tasha Gennaro a dit…

Ah j'adore les Batman de Nolan et en particulier The Dark Knight!

Anonyme a dit…

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Tasha Gennaro a dit…

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Jean-Marc a dit…

Te voilà mure pour la suite : Les rois écarlates, tout aussi noir, tout aussi bon !

Tasha Gennaro a dit…

Oui, d'autant que je me demande quel genre de suite ce sera, ça m'intrigue...