lundi 29 juin 2020

Autopsie des ombres de Xavier Boissel



Présentation éditeur
Un ancien casque bleu membre des forces de l’ONU en Yougoslavie est hanté par les images d’une guerre dont il n’a perçu que les échos, vu que les cadavres et les ruines. Sa guerre, il l’a passée à abattre les chiens errants pour circonscrire les épidémies. De retour chez lui, la violence des souvenirs est trop forte, la mélancolie et le traumatisme trop présents pour qu’il puisse reprendre le cours de sa vie. Il largue alors les amarres et s’engage dans une fuite vouée à l’échec. On ne fuit pas son ombre.

Ce que j'en pense
Outre le passionnant Paris est un leurre, j'avais adoré Avant l'aube. C'est donc avec gourmandise que j'ai commencé Autopsie des ombres, publié pour la première fois en 2013 (mais je ne connaissais pas Boissel à ce moment-là).
Ce court opus est saisissant de beauté, et plusieurs auteurs viennent en tête. Il y a Manchette, évidemment, notamment pour cette façon qu'a le personnage d'être en dehors de lui-même, pour cette écriture behavioriste vidée de son sens, qui souligne l'inanité des actes accomplis, l'absurdité de ce que l'on demande à ces soldats, l'impossibilité de donner du sens au retour à la vie civile.
"Il ouvre le réfrigérateur, y prend une canette de bière fraîche, puis se ravise et trouve dans le bac congélateur ce qui a sa préférence: une bouteille de vodka russe; il saisit un verre sur l'évier, s'assied sur le canapé-lit élimé à la couverture pleine de poils, se sert tout en allumant un cigarillo de marque portugaise, dont il apprécie le goût âcre et corsé; il emplit ses poumons de grandes bouffées, boit de longues gorgées de vodka, en savoure la texture liquoreuse."
Je n'ai pu m'empêcher de penser au début de La position du tireur couché de Manchette, quand Terrier, de retour de son expédition, rejoint sa chambre et se sert un whisky. Ici non plus, rien de "signifiant" dans les actes du personnage, une écriture au présent, une vie au présent, car il est désormais dans l'incapacité de se projeter.
Il y a Conrad, pour la plongée progressive dans la noirceur, dans les abîmes de l'humain, en particulier dans l'autre narration, celle qui se déroule au passé, dans le passé de cette guerre des Balkans. C'est une drôle de guerre, sans combats francs, mais pétrie d'horreurs et de destruction: villes en ruines, snipers embusqués, corps criblés de balles. Et il y a ces casques bleus réduits à l'impuissance, qu'on assigne à des corvées absurdes dans un tel contexte. Je me souviens d'un film (court-métrage? long-métrage?) qui mettait en scène les casques bleus français de ce conflit, réduits à déplacer des sacs de sable d'un point à un autre, juste parce qu'il fallait les occuper. J'ai pensé aussi à Céline, pour le côté guerre absurde où le soldat subit des évènements qui ne font pas sens.
Mais Boissel est avant tout Boissel, il y a chez lui une façon d'utiliser les citations mises en exergue des chapitres, une force poétique dans l'écriture précise et le rythme des phrases, souvent longues, qui en font un auteur très singulier. Rien que pour la force de la dernière page (que je ne peux reproduire ici, et puis allez lire le livre, non mais), il faut lire Autopsie des ombres, mais c'est l'ensemble de ce court roman qui prend à la gorge, qui saisit par la beauté de son écriture, la force de son évocation. Il se clôt par ses mots : "C'est toujours la même histoire", oui, un peu comme le "qu'on n'en parle plus" de Céline.
Voilà, au cas où vous ne l'auriez pas compris, je vous recommande Autopsie des ombres de Xavier Boissel.


Xavier Boissel, Autopsie des ombres, Inculte, Barnum, 2020. Parution originale : 2013.

2 commentaires:

Electra a dit…

j'ai compris ! que cette guerre fut horrible et absurde et nous qui avons laissé un peu se faire massacrer.. une honte. Bref, je note !

Tasha Gennaro a dit…

Oui, c'était la guerre à nos portes, le roman de Boissel a fait écho à plein de choses.