dimanche 14 juin 2020

L'enfer commence avec elle de John O'Hara


Présentation éditeur
New York, 1931. Gloria Wandrous collectionne les amants et écume les clubs clandestins dont regorge la ville en pleine prohibition. Assumant sa beauté et sa sexualité très libre, elle provoque et vient bousculer les mondains de la haute société new yorkaise.
Sa dernière conquête, Weston Liggett, est marié et père de famille. Obsédé par Gloria, Weston songe à tout quitter pour elle. Cette fois, elle pourrait bien succomber à la tentation d’une vie rangée auprès de lui, à moins que le destin n’en décide autrement.

Ce que j'en pense
Je sais bien qu'il ne faut pas juger un livre à sa couverture, mais c'est tout de même la somptueuse illustration et la composition de ce roman qui ont attiré mon attention. Et parfois, l'habit fait le moine, parce que L'enfer commence avec elle tient toutes ses promesses. En revanche, je ne suis pas fan du titre : je comprends que garder le titre original aurait été incompréhensible, mais bon...
Peu importe. Il y a dans ce roman l'élégance folle d'une époque et d'un esprit new-yorkais (l'auteur était l'une des plus grandes plumes du chic New Yorker) et l'acuité impitoyable d'un portraitiste de son époque. L'enfer commence avec elle est d'une grande virtuosité dans la construction et dans l'écriture : dès le début, nous passons de personnage en personnage, dans un kaléidoscope qui donne voix à plusieurs personnages. Le ton est donné d'emblée : chacun est saisi dans ses ridicules mais aussi dans ses aspirations déçues, on oscille entre satire et empathie. Ce sont des personnages de la petite bourgeoisie que nous suivons : ils ne sont pas assez riches pour ne pas travailler, mais suffisamment à l'aise pour fréquenter des clubs et des speakeasy plus ou moins chics. John O'Hara brosse le portrait de cette petite communauté new-yorkaise qui accuse le coup de la crise de 1929 en noyant ses soucis dans les bars alors prohibés. Sa plume est vive, sans concession et c'est assez savoureux. 
Et puis il y a Gloria, personnage inspiré d'une jeune femme de l'époque, une mondaine qui mourut dans des circonstances un peu étranges (suicide? pas suicide?). Ce n'est pourtant pas un true crime, car John O'Hara construit une histoire d'amour entre Gloria et Weston Liggett et se donne toute liberté en la matière. La façon dont il pose le personnage pour l'approfondir peu à peu est remarquable. Elle est au début une mondaine aux moeurs légères, rien de plus. Elle devient une figure complexe et d'une grande modernité. Complexe, elle l'est dans sa relation à Weston : leur nuit d'ébats amoureux commence par un viol (ça y ressemble fort en tout cas), somme toute. Et nous en apprenons de plus en plus sur Gloria, son enfance, avec des éléments inspirés du fait divers (et de l'histoire de Starr Faithfull). Gloria est par ailleurs une femme libre, qui ne veut pas a priori du mariage et de la vie d'épouse qu'on impose aux jeunes femmes. Elle a quelque chose des garçonnes de l'époque, comme on les appelait. Elle sort beaucoup, elle boit, elle mène une vie sexuelle très libre. Et nul jugement ne vient dater le propos de John O'Hara, on sent chez l'auteur une affection sans limites pour son personnage. 
Tout cela fait de L'enfer commence avec elle un roman très moderne qui m'a fait penser à Dorothy Parker, pour la modernité et la lucidité du propos, pour le portrait de moeurs très vif. On convoque souvent la référence à Scott Fitzgerald, que je n'ai pas lu depuis fort longtemps, mais je suppose qu'outre la classe sociale dépeinte, il est évoqué pour le caractère crépusculaire et mélancolique du récit. J'ai tout de même l'impression que l'écriture de John O'Hara est beaucoup plus sociale, et ce n'est pas pour rien que cette édition parle de "frontière du roman noir". Le destin de Gloria est tragique, et il l'est pour des raisons sociales : marquée dès l'enfance, elle ne peut dans la société qui est la sienne afficher une telle liberté tout en prétendant à l'amour, ce n'est pas acceptable. 
Quoi qu'il en soit, L'enfer commence avec elle est un superbe roman, et je sais que je vais lire Rendez-vous à Samarra, parce que je suis conquise par John O'Hara. 

John O'Hara, L'enfer commence avec elle (Butterfield 8), Editions de l'Olivier, 2020. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Yves Malartic, traduction révisée par Mathilde Desprez. 

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