mercredi 1 juillet 2020

Zippo de Valentine Imhof


Présentation éditeur
Lorsqu’ils se sont rencontrés, elle était très jeune. Il lui a fait porter un loup noir, il l’a appelée Eva, il lui a appris à jouer avec le feu. Il était le maître de ses émotions, de sa volonté, de sa souffrance. Il l’a perdue. Où qu’elle soit, où qu’elle se cache, il lui manque, il en est persuadé. Il ne cesse de la chercher, son zippo à la main, qu’elle reconnaîtra entre mille. Ce son unique quand il l’ouvre du pouce avant d’en faire rouler la molette, et le claquement sec du capot sur charnière qui étouffe abruptement la flamme charment sa solitude en ce neuvième anniversaire de leur rencontre. Mais comme elle tarde à ressurgir, il décide de lui laisser des messages. Et affole la police. Parce que ces blondes aux visages brûlés retrouvées mortes sur les bancs de Lincoln Park à Milwaukee, elles soulèvent les cœurs. Les lieutenants Mia Larström et Peter « Casanova » McNamara vont devoir faire la paix pour remonter jusqu’au tueur pyromane. Plus encore, démêler leurs parts de fureur et de nuit, se débattre avec les questions qui roulent dans leurs têtes jusqu’à l’usure, affronter ce qu’aucun lavage de cerveau n’a pu extraire de leurs mémoires.

Ce que j'en pense
Voici encore un livre qui a rejoint mon stock juste avant le confinement, mais que je n'ai pas ouvert tout de suite. J'avais beaucoup aimé Par les rafales, et Zippo m'a également emballée. Je trouve que Valentine Imhof s'affirme comme une des plumes les plus intéressantes du roman noir français, une des plus poétiques aussi. Zippo a quelque chose d'un polar classique : des jeunes femmes blondes sont retrouvées brûlées, et Mia et son partenaire Peter enquêtent sur cette série de meurtres. Nous suivons également l'esprit torturé d'un homme gravement brûlé, défiguré par un accident alors qu'il travaillait avec ses compagnons de boulot : il sculpte dans le métal des statues, sortes de totem à l'effigie de ces morts qui le hantent, tout en brûlant des femmes à travers qui il échoue à retrouver celle qu'il a aimée et qui l'a abandonné, Eva, celle qui avec lui transgressait les limites de la sexualité normée pour sublimer le désir dans des pratiques SM. Je ne peux en dire plus sans dévoiler l'intrigue. Valentine Imhof excelle dans l'évocation de personnages à l'esprit tortueux, à provoquer une empathie pour ces trois êtres pris dans un passé qui les détruit ou qui aurait pu les détruire. Aucun n'est entièrement sympathique, aucun ne provoque le rejet du lecteur. Nous plongeons dans la noirceur de ces âmes, nous les accompagnons dans leur douleur. L'amour est toxique dans ce roman, mais il est aussi l'expérience la plus forte que les personnages puissent faire, jusqu'à la folie et à la destruction, et c'est superbe. Jamais l'autrice n'évoque les pratiques SM avec complaisance ou voyeurisme, elle suggère plus qu'elle ne montre, et c'est parce qu'elle ne cède pas à un pittoresque de mauvais aloi qu'elle parvient, par l'écriture, à restituer leur caractère transgressif. Ce n'est pas la farandole des tordus qui nous semblerait si loin de nous, c'est plutôt une sarabande mortelle et subversive, qui nous touche et nous ébranle. Le final est somptueux, à la hauteur des enjeux du roman : le choix de Peter est un acte d'amour, ultime transgression, en quelque sorte.
Tout cela est exprimé dans une langue rythmée, syncopée comme les morceaux qui scandent le roman (cf. liste à la fin de l'ouvrage), et ce n'est pas la moindre des qualités de Valentine Imhof.
Bref, Zippo est pour moi une confirmation magistrale du talent de Valentine Imhof.


Valentine Imhof, Zippo, Le Rouergue noir, 2019

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