vendredi 12 janvier 2018

Bande dessinée 2018 #1

Les derniers jours de l'année 2017... Je n'aime pas la période des fêtes, pour des raisons multiples que je vous épargne. Mais tandis que d'autres s'amusaient ou s'ennuyaient dans des réveillons festifs (non, ce n'est pas un pléonasme pour moi), j'ai passé la soirée à lire, et j'ai notamment lu des BD. J'ai une PAL BD monstrueuse, et je ne parle même pas des BD de Monsieur. 
Et les derniers jours de 2017 et les premiers de 2018 se sont passés à Bruxelles, ville chérie, ô combien, et ville tentatrice pour les amateurs de BD... Entre librairies spécialisées et librairies d'occasion, c'est l'enfer, surtout au moment de faire les sacs pour le retour en train. 
Moi en route pour la gare de Bruxelles Midi :-) (Tashi Sherpa/AP/SIPA)

La chine est précieuse car elle permet de se laisser tenter par des titres inattendus, des albums ou des romans graphiques que l'on ne connaissait pas ou qui n'étaient pas dans la priorité d'achats. Le passage vers 2018, ce fut donc une chambre d'hôtel confortable, des pâtisseries orientales dégustées à deux, des livres et des BD... Pour moi, le meilleur réveillon du monde. 

Allez, je commence.


Depuis longtemps, je lorgnais sur La propriété de Rutu Modan, et ce fut l'une de mes lectures du réveillon. Un pur régal, une histoire forte qui déjoue les attentes, refuse les facilités et qui m'a ramenée, ce que je n'attendais pas, en Pologne. Regina et sa petite-fille Mica font le déplacement d'Israël pour la Pologne (Varsovie), pour une histoire de propriété, de spoliation par les nazis. Rutu Modan fait fi de tout pathos : Regina n'éprouve nulle nostalgie du pays perdu ("un vaste cimetière", dit-elle), et il n'est pas question de pardon ou de rédemption dans ce récit de mémoire. Le récit est découpé en sept jours, durée nécessaire pour que sorte au jour un secret, pour que l'on comprenne aussi le rôle joué par l'ami "relou" qui les accompagne. Cette tragédie est traitée avec une grande sobriété et servie par un trait clair et précis, se mêle à la chronique intime (pour Mica). C'est magnifique, et bien sûr, maintenant, j'ai envie de lire l'oeuvre précédente de Rutu Modan, Exit Wounds. C'est malin. 
Rutu MODAN, La propriété, Actes Sud BD, 2013. Traduit de l'hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech. 



Autre régal dans un tout autre style : Et si l'amour c'était aimer? de Fabcaro. Il n'est jamais aussi à l'aise, me semble-t-il, que dans la parodie, et ici, comme le titre peut le laisser deviner, il s'empare des codes du roman-photo et fait mouche. Il se trouve que lorsque j'étais enfant, j'avais une voisine qui dévorait les romances : Harlequin, Delly, mais aussi les romans-photos de Nous Deux et Intimité. Comme j'étais du genre à lire tout ce qui me tombait sous la main, j'en ai lu! C'est dire si je perçois quelles situations codées, quels stéréotypes narratifs et (photo)graphiques du genre reprend Fabcaro, pour exercer son regard caustique, son humour absurde. C'est piquant, hilarant, j'adore et j'en redemande. 
Fabcaro, Et si l'amour c'était aimer? 6 Pieds sous terre, 2017



Dans mes déambulations dans les librairies bruxelloises, j'ai découvert la trilogie de Merwan, Le bel âge, qui m'a énormément plu. Merwan est connu notamment pour sa collaboration avec Fabien Nury sur L'or et le sang. Il livre ainsi, seul aux manettes (scénario et dessin) une chronique intimiste et ce faisant, un portrait de l'époque, à travers trois jeunes femmes. Leurs hésitations, errements et choix sont au coeur de ce récit très fin, très délicat, porté par un dessin qui me fait penser, par moment, à Bastien Vivès. Trois portraits conjugués, trois jeunes femmes qui cherchent leur place (dans la société, le monde du travail, les relations amoureuses et familiales): ce récit choral en trois temps m'a passionnée et touchée. J'ai pensé aussi au travail orchestré par Thomas Cadène sur Les autres gens. Au terme de ma lecture, j'ai quitté les personnages à regret.
Merwan, Le bel âge, tome 1 Désordre, Dargaud, 2012.
Merwan, Le bel âge, tome 2, Territoire, Dargaud, 2012.
Merwan, Le bel âge, tome 3, Départs, Dargaud, 2014. 



Avec Ce que le vent apporte de Jaime Martin, on est dans la découverte de hasard, liée à la chine bruxelloise, et c'est un vrai coup de coeur. Mais que ce récit est sombre! On est en Russie, la Révolution s'annonce, et le lecteur suit les pas d'un jeune médecin envoyé aux confins de l'empire pour gérer un hôpital du bout du monde, aux conditions climatiques très dures. C'est un défi de tous les instants, d'autant que la contrée est le théâtre de meurtres terribles. Ce jeune homme se heurte à la superstition, lui qui est un être de raison aux idées progressistes. Je ne savais rien de l'histoire en achetant cet album, c'est le dessin à la fois réaliste et d'un esthétisme fou qui m'a attirée. C'est magnifique, sombre, tourmenté. 
Jaime MARTIN, Ce que le vent apporte, Dupuis Aire Libre, 2007.


Enfin, j'ai fini par acheter un album de Cosey que je voulais depuis longtemps, Saïgon-Hanoï. J'aime le dessin et l'univers de Cosey, et je ne sais pourquoi, ce titre me tentait particulièrement. J'ai donc plongé avec délices dans ce récit superbe, qui mêle à la conversation téléphonique entre un homme qui a fait la guerre du Viêt-Nâm et une jeune adolescente (pré-ado, elle a onze ans) qui a composé son numéro un peu au hasard les images d'un retour au pays connu pendant le conflit. En effet, nous sommes avec Homer, qui passe le réveillon seul dans la maison familiale, et qui regarde à la télévision un documentaire relatant la guerre du Viêt-Nâm et le retour sur les lieux d'un vétéran, qui n'est autre que lui-même. En même temps, il parle à cette très jeune fille, et l'ensemble dégage une impression de grand apaisement, de quiétude inattendue. La beauté des images et ce qu'elles suggèrent créent cette sensation. Je suis ressortie de ma lecture avec le sourire aux lèvres, sereine moi aussi. 
Cosey, Saïgon-Hanoï, Dupuis Aire Libre, 1992.

Maintenant, je souhaite que ma parenthèse bruxelloise se poursuive à travers la lecture des nombreuses BD que j'ai en stock! Et bientôt c'est le Festival d'Angoulême, donc les sorties vont se multiplier. Miam!








2 commentaires:

keisha a dit…

Changer d'année tranquillement, c'est du bonheur! (je déteste attendre minuit en lorgnant sur la montre -vivement minuit que j'aille me coucher!)(je suis du matin, c'est clair!)
Exit wounds est TB aussi!
J'aurais dû mal avec le graphisme de le bel âge, ces nez sont affreux, non? Ou alors o ns'y fait?

Tasha Gennaro a dit…

On est plus nombreux qu'on ne croit à trouver ridicules ces festivités obligatoires... ;-)
Pour Le bel âge, le graphisme me plaît, mais pour aller dans ton sens, chez Bastien Vivès, la simplification du trait et le dénuement du dessin me rebutent parfois, au point que je n'ai pas envie d'acheter certains de ses albums.
Bon, Exit Wounds est sur ma liste de souhaits, tu m'encourages dans mes mauvais penchants!!!