samedi 1 avril 2017

Profil perdu de Hugues Pagan


Présentation
Meunier, officier de police aux Stups, est laissé pour mort dans une station-service. Schneider, personnage de deux romans précédents de Pagan, va enquêter sur cette tentative de meurtre qui se révèle bien plus compliqué qu’au premier abord… Schneider, chef du Groupe criminel, entretient des rapports étranges avec Monsieur Tom, avocat d’affaires aux pratiques et aux connaissances peu recommandables. Mais c’est aussi chez Monsieur Tom que Schneider rencontre la bouleversante Cherokee, alors qu’il est hanté par la mort d’une femme.

Ce que j’en pense
Commençons par une anecdote qui n’a rien à voir avec Profil perdu. La première fois que j’ai lu Pagan, c’était dans une maison à la campagne, il faisait nuit et il pleuvait. Je sais, on s’en fiche, mais ceux qui ont lu Pagan (avant Profil perdu) comprendront. Je suis sortie de ma lecture totalement désarmée, secouée et éprouvée. Tant de noirceur, ce jusqu’auboutisme dans la tragédie, cette écriture… Pour ma part, j’ai découvert Pagan à la fin des années 1990, et j’ai alors lu tous ses romans, avec le même plaisir un peu maso, mais j’aimais – j’aime toujours – ce mélange de noirceur extrême et de beauté sidérante. Les personnages de Pagan me tordent le ventre, son univers me bouleverse. Et puis Pagan n’a plus publié de roman, se tournant vers la télévision et le cinéma pour des activités de scénariste qui assurément lui permettaient davantage de vivre, d’abord parce que l’audiovisuel paie mieux que les droits d’auteur, ensuite parce que Pagan n’a jamais vendu beaucoup de livres, malheureusement. J’ai eu l’occasion de lui parler au téléphone il y a de cela quelques années, au sujet de son travail sur la série Nicolas Le Floch, et alors que je lui disais à quel point j’aimais ses romans, il a ri et m’a dit un truc du genre : « Ah vous êtes donc ma lectrice, la seule et l’unique », manière de se moquer de lui-même, de son absence de succès dans le domaine du roman noir.  Je suppose et j’espère que cela va changer avec Profil perdu.
J’appréhendais beaucoup cette lecture, autant que je l’espérais, car d’une part il m’avait dit (et cela se murmurait beaucoup) qu’il projetait de publier un nouveau roman noir, et d’autre part quand cela s’est confirmé avec une date de parution, je piaffais d’impatience. 
Ai-je retrouvé le Pagan qui m’avait tant bouleversée ? Oui et non. Mais les retrouvailles restent belles.

Alors je commence par mes réserves : l’une est une vraie réserve, l’autre une réserve plus subjective.
J’ai dit le talent d’écriture de Pagan : il est sensible dans ses romans à toutes les pages et bien sûr, on le retrouve ici. Mais il y a aussi une volonté de retrouver le style du roman noir après des années, et un côté too much dans le style, par instants… Des expressions m’ont gênée, des métaphores un peu lourdingues à mes yeux. Si j’en juge par les quelques critiques (de presse) lues depuis, cela ne gêne que moi, donc, à vous de juger.
Mon autre réserve n’a pas grande importance, car c’est une chose qui pourrait au contraire assurer le succès du roman. J’ai tendance à penser que si Pagan n’a pas rencontré le public dans les années 1990, c’est notamment parce qu’il allait très loin dans la noirceur. Sans concession, ses romans noirs étaient parfois irrespirables, ce qui allait avec une forme de classicisme ou de respect des codes dans la construction des personnages et de l’intrigue. Pour moi, c’était ça, la force et la spécificité de Pagan, mais c’était aussi ce qui me laissait, en tant que lectrice, exsangue, réellement désespérée au terme de mes lectures. Pagan a évolué (forcément), et, sans doute pour de nombreuses raisons, il s’est attendri. Alors calmons-nous, hein, il n’a pas écrit une bluette ou un roman rigolo, Profil perdu reste d’une noirceur terrible (et délectable), mais Pagan a comme une envie d’épargner le pire à ses personnages, comme un élan de douceur. Est-ce que j’y vois un défaut ? Non, simplement j’aimais énormément la radicalité tragique de ses précédents romans.
Pour le reste, Pagan est là et bien là : baltringues, corrompus de tout poil, ceux qui se couchent et ceux qui se tiennent debout quoi qu’il arrive, la douleur et la beauté qui subsiste dans tout ce merdier, la mort… Ah! le « je t’aime » de Schneider… La beauté émouvante de Cherokee… L’intrigue met un peu de temps à se mettre en place, mais oh ! on n’est pas pressés, hein, on est dans du noir, les atmosphères sont essentielles. Et qu’importe car ensuite, elle est redoutable, étouffante, c’est du Pagan comme on aime, c’est vénéneux, touffu, rudement bien fichu.
Maintenant, j’ai envie de relire tout Pagan. Ma lecture de Profil perdu n’est pas totalement enthousiaste, mais tout de même, Pagan est de retour, et j’espère qu’il ne va pas s’arrêter là.

Hugues Pagan, Profil perdu, Rivages Thriller, 2017. Disponible en numérique.

PS : suis-je la seule à avoir remarqué que Sagan (une lettre de différence) a publié un livre qui s'appelait Un profil perdu? 🤔


2 commentaires:

Electra a dit…

très intéressant ton billet ! Le fait que tu aies lu son oeuvre, que tu aies pu échanger avec lui et le retrouver. J'avoue que si j'aime les romans noirs, j'ai quand même besoin d'une sorte d'espoir à la fin, ou d'une possible rédemption donc me retrouver exsangue et désespérée .. bon là, il a l'air d'avoir changé d'où mon envie de le lire. Mais j'ai quelques lectures qui m'attendent (Tchernobyl, au final pas plus joyeux!)

Tasha Gennaro a dit…

De fait, Pagan faisait partie des auteurs que je recommandais à mes amis avec prudence, et c'est pour ça que je pense que cette fois-ci, il devrait avoir un plus grand nombre de lecteurs.