lundi 4 juillet 2016

Cry Father de Benjamin Whitmer


Présentation éditeur
Depuis qu’il a perdu son fils, Patterson Wells parcourt les zones sinistrées de l’Amérique pour en déblayer les décombres. Le reste du temps, il se réfugie dans sa cabane perdue près de Denver. Là, il boit et tente d’oublier le poids des souvenirs ou la bagarre de la veille dans un bar. Mais ses rêves de sérénité vont se volatiliser lorsqu’il fera la rencontre du fils de son meilleur ami, Junior, un dealer avec un penchant certain pour la bagarre. Les deux hommes vont se prendre d’amitié l’un pour l’autre et être peu à peu entraînés dans une spirale de violence.

Ce que j’en pense
Attention splendeur, diamant noir, joyau ! S’embarquer dans Cry Father c’est se laisser porter par la noirceur absolue mais aussi par l’humanité dans ce qu’elle a de plus déchirant. Benjamin Whitmer pourrait nous faire détester ses personnages, tous empruntent les voies de la destruction et de l’auto-destruction avec une telle constance… Et pourtant, de Patterson, englué dans sa douleur de père privé de la chair de sa chair, à Junior, démon à la gueule d’ange et de pirate tout à la fois, en passant par Henry, père et mari violent mais aussi vieil homme touchant, tous sont bouleversants, tous sont des hommes que leurs failles et leurs douleurs façonnent tout en les menant au pire… Il y a ce cahier que Patterson noircit en s’adressant à son fils, qui nous livre des bribes de son passé, dessinant au fil des chapitres une vie de douleur et d’errance.
D’un côté, le roman livre ce portrait d’une Amérique rurale, white trash, avec des personnages qui représentent une frange de la société souvent négligée : les petits blancs des classes populaires, que la crise économique, l’abandon social et culturel a parfois relégué au stade d’une sorte de quart-monde vivotant dans un dénuement étonnant, basculant plus souvent qu’à son tour dans la violence et la criminalité. Benjamin Whitmer est un très grand portraitiste de ces êtres bradassés par la vie. On comprend pourquoi il est publié en France chez Gallmeister.
D’un autre côté, Cry Father, comme l’indique son titre, est un roman bouleversant sur la paternité : ce qu’est être père, ce qu’est être fils. Junior est un être ambigu et inquiétant, capable d’une violence froide et sans émotion, mais il est aussi un père éperdu d’amour et condamné à rester en retrait de la vie de son enfant, tout comme il est le fils d’un homme qu’il hait et qui a massacré son innocence. Patterson est un père à qui la vie a retiré le bonheur de voir grandir son enfant, et qui ne peut en faire le deuil. La beauté du roman est de nous montrer deux pères/fils dévastés, qui en retour dévastent tout ce qu’ils approchent, s’enfoncent dans un abime de violence, fracassant tout ce qui pourrait ressembler à de l’amour.
La force de Benjamin Whitmer est de secouer son lecteur, de lui faire éprouver des émotions très fortes, sans jamais avoir recours au pathos, en maintenant la ligne d’une écriture sobre et sèche, sans fioritures.
Cry Father n’est pas une lecture divertissante, c’est un roman qui nous ramène à des choses puissantes et fortes, qui ne craint pas de nous laisser dans un état intermédiaire entre l’effarement et l’éblouissement.
Bref, Benjamin Whitmer est un grand écrivain.


Benjamin Whitmer, Cry Father, Gallmeister/ Néonoir, 2016. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos. Publication originale : 2015. Disponible en ebook.

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