Présentation éditeur
Depuis
qu’il a perdu son fils, Patterson Wells parcourt les zones sinistrées de
l’Amérique pour en déblayer les décombres. Le reste du temps, il se
réfugie dans sa cabane perdue près de Denver. Là, il boit et tente
d’oublier le poids des souvenirs ou la bagarre de la veille dans un bar.
Mais ses rêves de sérénité vont se volatiliser lorsqu’il fera la rencontre
du fils de son meilleur ami, Junior, un dealer avec un penchant certain
pour la bagarre. Les deux hommes vont se prendre d’amitié l’un pour
l’autre et être peu à peu entraînés dans une spirale de violence.
Ce que j’en
pense
Attention splendeur, diamant noir, joyau ! S’embarquer
dans Cry Father c’est se laisser porter par la noirceur absolue mais aussi par
l’humanité dans ce qu’elle a de plus déchirant. Benjamin Whitmer pourrait nous
faire détester ses personnages, tous empruntent les voies de la destruction et
de l’auto-destruction avec une telle constance… Et pourtant, de Patterson,
englué dans sa douleur de père privé de la chair de sa chair, à Junior, démon à
la gueule d’ange et de pirate tout à la fois, en passant par Henry, père et
mari violent mais aussi vieil homme touchant, tous sont bouleversants, tous
sont des hommes que leurs failles et leurs douleurs façonnent tout en les
menant au pire… Il y a ce cahier que Patterson noircit en s’adressant à son
fils, qui nous livre des bribes de son passé, dessinant au fil des chapitres
une vie de douleur et d’errance.
D’un côté, le roman livre ce portrait d’une Amérique rurale,
white trash, avec des personnages qui représentent une frange de la société
souvent négligée : les petits blancs des classes populaires, que la crise
économique, l’abandon social et culturel a parfois relégué au stade d’une sorte
de quart-monde vivotant dans un dénuement étonnant, basculant plus souvent qu’à
son tour dans la violence et la criminalité. Benjamin Whitmer est un très grand
portraitiste de ces êtres bradassés par la vie. On comprend pourquoi il est
publié en France chez Gallmeister.
D’un autre côté, Cry Father, comme l’indique son titre, est
un roman bouleversant sur la paternité : ce qu’est être père, ce qu’est
être fils. Junior est un être ambigu et inquiétant, capable d’une violence
froide et sans émotion, mais il est aussi un père éperdu d’amour et condamné à
rester en retrait de la vie de son enfant, tout comme il est le fils d’un homme
qu’il hait et qui a massacré son innocence. Patterson est un père à qui la vie
a retiré le bonheur de voir grandir son enfant, et qui ne peut en faire le
deuil. La beauté du roman est de nous montrer deux pères/fils dévastés, qui en
retour dévastent tout ce qu’ils approchent, s’enfoncent dans un abime de
violence, fracassant tout ce qui pourrait ressembler à de l’amour.
La force de Benjamin Whitmer est de secouer son lecteur, de
lui faire éprouver des émotions très fortes, sans jamais avoir recours au
pathos, en maintenant la ligne d’une écriture sobre et sèche, sans fioritures.
Cry Father n’est pas une lecture divertissante, c’est un
roman qui nous ramène à des choses puissantes et fortes, qui ne craint pas de
nous laisser dans un état intermédiaire entre l’effarement et l’éblouissement.
Bref, Benjamin Whitmer est un grand écrivain.
Benjamin Whitmer, Cry
Father, Gallmeister/ Néonoir, 2016. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par
Jacques Mailhos. Publication originale : 2015. Disponible en ebook.
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