lundi 11 avril 2016

Exil de Frédéric Jaccaud


Présentation (éditeur)
Le héros de ce roman n’a pas de véritable identité : quelques souvenirs d’enfance, des expériences dans l’informatique balbutiante de la Silicon Valley à l’orée des eighties, ensuite des années de galère jusqu’au moment où le temps s’accélère. Chauffeur pour une agence d’escort-girls, il se retrouve une nuit avec un cadavre sur les bras, une mystérieuse carte magnétique en poche, et des tueurs impitoyables à ses trousses.
Si on lui demandait, le héros dirait qu’il n’a fait qu’un pas ou deux de travers. Rien qui ne mérite un tel acharnement. Et pourtant, terré dans l’étrange petite ville de Grey Lake, il attire tous les regards. Désormais, le monde qui l’entoure se redéfinit radicalement par la technologie. À lui de comprendre s’il détient la clé d’un code source paranoïaque ou s’il n’est que le jouet de pouvoirs supérieurs.
Il est des exils volontaires.

Ce que j’en pense
De Frédéric Jaccaud j’avais lu le perturbant Hécate, parution audacieuse de la Série Noire. La nuit est sur mes étagères depuis sa sortie mais je ne l’ai toujours pas ouvert, il fait partie des nombreux sacrifiés à ma boulimie d’achats… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’ai pas tardé à me jeter sur Exil, et bien m’en a pris.
Nous suivons les pas de ce personnage sans nom, qui n’a cependant rien d’une enveloppe vide. Exil commence comme un roman noir sur fond de tough guy et de demoiselle en détresse, mais ce roman-là, de cavale et de fuite, n’est qu’un leurre. Exit la demoiselle, et la cavale s’achève à Grey Lake, avec un brusque apaisement du récit. Commence alors un roman noir bouseux, plein de rednecks et de figures archétypales du roman rural : le brave shérif, ses adjoints bornés, les weirdos du coin, le tout sans oublier le diner et le bar-bordel. Frédéric Jaccaud explore les topoï du roman noir américain contemporain. Mais bientôt tout se brouille : car depuis le début, nous avons des bribes de récit en forme de flash-back sur les jeunes années du narrateur. Génie de l’high tech à l’ère de ses prémices, il a fait partie de la bande de nerds de la (Silicon) Valley, alors royaume d’une bande de doux dingues qui partageaient leur temps entre défonce et invention, créant les technologies de demain (d’aujourd’hui, donc) avant que cela ne devienne un enjeu économique puis politique. L’ombre de Philip K. Dick plane sur le roman, référence explicite d’Exil. Sous le roman noir urbain puis rural se cache un techno-noir (j’invente des mots si je veux), une réflexion angoissée sur la surveillance généralisée et sur les rapports entre réalité et « fiction » (le mot ne convient pas tout à fait mais tant pis). Le narrateur croit par son exil avoir disparu des radars mais il est possible que tout ça aussi ne soit qu’un leurre…
Difficile de lâcher Exil une fois qu’on l’a commencé, difficile de ne pas être happé par cet univers, par cette impression diffuse de surveillance, ce sentiment d’impossible échappée. Il y a plusieurs romans dans cet Exil, le tout servi par une écriture extraordinaire. 
Après le roman de Sébastien Raizer, Sagittarius, Exil est le deuxième choc que m’offre la Série Noire ces dernières semaines. Somme toute, il y a dans cette collection, depuis qu’elle est sous l’égide d’Aurélien Masson, deux types de polars. Il y a les (très) bons polars, qui souvent prennent aux tripes, qui au pire sont d’une efficacité redoutable, et puis il y a ceux qui tracent la voie du roman noir du 21ème siècle : ambitieux, parfois déroutants, ne cherchant pas à plaire, obsédants… Les romans de Frédéric Jaccaud sont de cette trempe-là.


Frédéric Jaccaud, Exil, Gallimard/Série Noire, 2016. Disponible en ebook.

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