Présentation (éditeur)
Le
héros de ce roman n’a pas de véritable identité : quelques souvenirs d’enfance,
des expériences dans l’informatique balbutiante de la Silicon Valley à l’orée
des eighties, ensuite des années de galère jusqu’au moment où le temps s’accélère.
Chauffeur pour une agence d’escort-girls, il se retrouve une nuit avec un
cadavre sur les bras, une mystérieuse carte magnétique en poche, et des tueurs
impitoyables à ses trousses.
Si
on lui demandait, le héros dirait qu’il n’a fait qu’un pas ou deux de travers.
Rien qui ne mérite un tel acharnement. Et pourtant, terré dans l’étrange petite
ville de Grey Lake, il attire tous les regards. Désormais, le monde qui
l’entoure se redéfinit radicalement par la technologie. À lui de comprendre
s’il détient la clé d’un code source paranoïaque ou s’il n’est que le jouet de
pouvoirs supérieurs.
Il
est des exils volontaires.
Ce que j’en pense
De Frédéric Jaccaud j’avais lu le perturbant Hécate,
parution audacieuse de la Série Noire. La nuit est sur mes étagères depuis sa
sortie mais je ne l’ai toujours pas ouvert, il fait partie des nombreux
sacrifiés à ma boulimie d’achats… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je
n’ai pas tardé à me jeter sur Exil, et bien m’en a pris.
Nous suivons les pas de ce personnage sans nom, qui n’a
cependant rien d’une enveloppe vide. Exil commence comme un roman noir sur fond
de tough guy et de demoiselle en détresse, mais ce roman-là, de cavale et de fuite,
n’est qu’un leurre. Exit la demoiselle, et la cavale s’achève à Grey Lake, avec
un brusque apaisement du récit. Commence alors un roman noir bouseux, plein de
rednecks et de figures archétypales du roman rural : le brave shérif, ses
adjoints bornés, les weirdos du coin, le tout sans oublier le diner et le
bar-bordel. Frédéric Jaccaud explore les topoï du roman noir américain contemporain. Mais bientôt tout se brouille :
car depuis le début, nous avons des bribes de récit en forme de flash-back sur
les jeunes années du narrateur. Génie de l’high tech à l’ère de ses prémices, il
a fait partie de la bande de nerds de la (Silicon) Valley, alors royaume d’une
bande de doux dingues qui partageaient leur temps entre défonce et invention,
créant les technologies de demain (d’aujourd’hui, donc) avant que cela ne
devienne un enjeu économique puis politique. L’ombre de Philip K. Dick plane
sur le roman, référence explicite d’Exil. Sous le roman noir urbain puis rural
se cache un techno-noir (j’invente des mots si je veux), une réflexion
angoissée sur la surveillance généralisée et sur les rapports entre réalité et
« fiction » (le mot ne convient pas tout à fait mais tant pis). Le
narrateur croit par son exil avoir disparu des radars mais il est possible que
tout ça aussi ne soit qu’un leurre…
Difficile de lâcher Exil une fois qu’on l’a commencé,
difficile de ne pas être happé par cet univers, par cette impression diffuse de
surveillance, ce sentiment d’impossible échappée. Il y a plusieurs romans dans
cet Exil, le tout servi par une écriture extraordinaire.
Après le roman de Sébastien Raizer, Sagittarius, Exil est le
deuxième choc que m’offre la Série Noire ces dernières semaines. Somme toute,
il y a dans cette collection, depuis qu’elle est sous l’égide d’Aurélien
Masson, deux types de polars. Il y a les (très) bons polars, qui souvent
prennent aux tripes, qui au pire sont d’une efficacité redoutable, et puis il y
a ceux qui tracent la voie du roman noir du 21ème siècle :
ambitieux, parfois déroutants, ne cherchant pas à plaire, obsédants… Les romans
de Frédéric Jaccaud sont de cette trempe-là.
Frédéric Jaccaud, Exil,
Gallimard/Série Noire, 2016. Disponible en ebook.
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