lundi 4 janvier 2016

Natural Enemies de Julius Horwitz


Présentation éditeur
Editeur à succès, Paul Steward étouffe dans sa vie en apparence parfaite. Il a décidé que ce soir, en rentrant chez lui, il tuerait sa femme Miriam et leurs enfants, avant de se suicider. Ceci est le récit, heure par heure, de cette dernière journée…

Ce que j’en pense
Lorsque ce court roman était sorti chez Baleine en 2011, j’avais hésité et puis j’étais passée à autre chose. Le billet de Wollanup sur Nyctalopes m’a convaincue de lire ce qu’il faut bien qualifier de diamant noir, une pure merveille. Quelle claque! 
Nous sommes prévenus dès le début : Paul, narrateur de ce récit, a décidé que ce serait sa dernière journée. Cet éditeur qui a semble-t-il tout pour lui veut mourir, mais il veut aussi, à l’heure du diner, tuer sa femme et ses enfants. Nous suivons la chronique de cette journée terrible, à la fois la routine de ce quadragénaire et ses rencontres moins ordinaires, toutes stupéfiantes de justesse et de force: connaissances, prétendants à la publication, prostituées, femme sans visage (puisque rencontrée dans le noir d’un tunnel), tout est saisissant, tour à tour bouleversant et glaçant. 
Jamais je n’ai éprouvé d’empathie envers Paul, tant son dessein meurtrier reste hors de la portée du lecteur. Son malaise me semble d’une banalité qui ne saurait justifier ce qu’il veut faire, un acte de pure folie. Paul a quelque chose de fondamentalement inquiétant car jamais il ne semble ressentir les émotions des autres, jamais il n'est ému par sa femme (superbe Miriam, personnage déchirant) ou ses enfants: seule sa chienne lui arrache un peu d'affection. 
Cependant, le roman réussit à ne pas irriter le lecteur: nous sommes aux alentours de 1975 et l’Amérique déchoit, comme le mâle américain WASP qu'est Paul, qui contemple les restes d’une splendeur illusoire et préfère tout engloutir avec lui plutôt que de se confronter à la situation. La manière dont Horowitz évoque New York, vue par les yeux de son personnage, est saisissante: c’est une mégalopole en ruines, presque en proie à la guerre civile qui est dépeinte, un symbole épouvantable d’un pays qui court à sa perte (New York est alors en pleine chute et l’Amérique ne se relève pas du Viet-Nam), qui a perdu ses illusions de grandeur et de toute-puissance, comme Paul, somme toute. 
Je suis ressortie secouée, bouleversée, pleine de questions: ce roman mérite d’être davantage connu. Cependant, il n’est pas à mettre entre toutes les mains, car sa noirceur est extrême et l’auteur n’entend pas nous consoler. 
J’ai beaucoup de mal à passer à autre chose. C’est embêtant mais croyez-moi, c’est la preuve que je viens de lire un roman extraordinaire. 


Julius Horwitz, Natural Enemies, Gallimard Folio, 2013. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne de Vogüé. Lu dans l’édition numérique de Baleine (2011). Publication originale: 1975. 

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