Présentation
Alors que la chaleur s’abat sur Belfast, Karl Kane est sollicité par une
jeune femme dont la sœur a disparu. Plusieurs jeunes filles fragiles, souvent
des toxicomanes ou des fugueuses, ont été tuées. Rapidement, Karl Kane en vient
à identifier un suspect, intouchable parce que fortuné… Alors que Karl Kane
s’obstine, l’enquête prend un tour bien plus personnel.
Ce que j’en pense
Je retrouve ici la même impression de lecture que pour Les chiens de Belfast : une intrigue un poil classique mais un
immense plaisir de lecture. Débarrassons-nous d’emblée ce qui ne constitue même
pas une vraie réserve : oui, l’intrigue reprend les codes du noir avec un
brin de prévisibilité, de la scène de tabassage de notre privé Karl Kane à la
scène finale, dont je ne peux vous parler mais qui contient les ingrédients
attendus. Et pourtant, quel plaisir !
Retrouver le privé Karl Kane, personnage hardboiled s’il en est, est un
vrai bonheur. Deuxième opus oblige, il acquiert un peu plus d’épaisseur, se
livre plus à nous, si je puis dire, et j’ai aimé retrouver ce personnage
cabossé, désabusé juste ce qu’il faut, jamais cynique.
Il y a aussi Belfast, ville qui se prête si bien au noir, à la fois par son
passé (qui ne passe pas tout à fait) et par ses récentes transformations, par
sa physionomie aussi, entre bâtiments abandonnés (la bâtisse de Crumlin Road,
justement) et docks suitant le noir. Ce n’est pas une ville comme une autre,
parce que ce n’est pas un pays comme les autres et cela se marie admirablement
aux exigences du genre. Les trajectoires politiques des uns et des autres
continuent à marquer les esprits, les personnages restent attachés à leur
passé, à leurs engagements, à leurs choix, dans leurs fonctions actuelles et
dans leur être : on n’oublie pas si facilement des décennies de lutte et
de sang. Le tout s’accompagne de quelques considérations saisissantes sur ce
qu’est devenue la ville, à grands renforts d’argent.
Le talent de Sam Millar, c’est aussi de nous tenir en haleine sans nous
mettre en tension façon thriller à la noix. Comme je disais, l’intrigue est un
brin classique (mais chut !), et pourtant, jusqu’aux dernières pages, je
ne pouvais lâcher le roman. Le personnage de Brendan, hanté par ses morts, est
un des plus beaux que j’aie croisé ces derniers temps, et il nous offre un
final magnifique. Ce final est d’ailleurs emblématique du roman et de ce que
j’aime dans le noir : un mélange de tension narrative toute en force, avec
une dimension exaltante, et d’émotion déchirante, parce que c’est du noir. C’est
beau, sombre, bouleversant.
Sam Millar, Le cannibale de Crumlin
Road (The Dark Place), Seuil,
2015. Traduit de l’anglais (Irlande du Nord) par Patrick Raynal. Publication
originale : 2010.
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