J’abordais la vingtaine quand le phénomène Nirvana a explosé mais je suis complètement passée à côté alors. Ce n’est que bien plus tard que j’ai découvert leur musique, que j’aime sans en être fan non plus. Ce documentaire a piqué ma curiosité mais je ressors plus que perplexe de cette expérience.
Commençons par ce qui est positif: les archives familiales sont parfois intéressantes, elles redonnent de la cohérence à la trajectoire de Kurt Cobain, et pour ma part, j’ai été touchée de voir ces photos - de bonheur? - des premières tournées de Nirvana, où les trois compères semblent heureux.
Voilà. C’est mince, non?
Pourquoi est-ce que ça coince, pour moi? Je vous livre mes réserves dans le désordre.
Kurt Cobain a terriblement souffert de l’exposition médiatique, du fait d’être propulsé porte-parole alors que seule lui importait la musique du groupe. Il exprime dans son journal sa sensation d’être « violated »… et pendant plus de deux heures, on nous livre en pâture des images parfois très intimes. J’avoue avoir ressenti un grand malaise face aux scènes qui plongent dans le quotidien - glauque - de Kurt Cobain et Courtney Love, avant et après la naissance de leur fille. Ces images sont d’une intimité qui fait du spectateur un voyeur et je n’ai pas aimé cela. « Violated », disais-tu, Kurt Cobain?
Le film est produit par la fille de l’artiste, qui détient depuis 2010 les droits sur l’exploitation de l’image de son père. Le réalisateur montre ce qu’il veut, car la fille de Kurt Cobain dit avoir précisé qu’elle ne voulait pas d’hagiographie romantique mythifiant son père. C’est juste, mais reste que le documentaire ne peut prétendre à l’objectivité: il n’y a pas de réalité, juste des visions de la réalité. Celle-ci est orientée par une thèse (qui en vaut une autre, me direz-vous): la gloire n’a fait qu’accélérer un malaise qui trouve ses racines dans l’enfance et l’adolescence de Kurt Cobain, et Courtney Love n’est pas responsable de sa mort. Fort bien, et croyez bien que je n’en pense rien. Mais c’est assez troublant de voir les témoignages de sa famille, de ses parents à Courtney Love: tous semblent se dédouaner. La seule à endosser une part de responsabilité dans le malaise de l’adolescent est la belle-mère. Et le plus ému de tous semble être Krist Novoselic… Bref, c’est un documentaire à thèse qui ne s’avoue pas comme tel: « nous ne sommes pas responsables, Kurt allait mal et il aurait mal fini même sans nous ».
Ma plus grande réserve découle de la précédente: le documentaire est tellement centré sur la trajectoire intime, sur la dérive personnelle qu’il en oublie - sciemment, je n’en doute pas - de parler d’une chose : la musique. Tout au plus est-elle évoquée comme un exutoire des souffrances de l’artiste, c’est un peu mince. Je comprends le parti-pris mais il me laisse frustrée. Une fois de plus, Kurt Cobain n’est pas évoqué comme musicien, compositeur, artiste: il est ramené à cet être souffrant, en révolte, et rien d’autre. Je trouve ça dommage.
J’attends un documentaire qui mettra le grunge en perspective (musicale, sociale, politique), qui éclairera le contexte d’apparition de Nirvana, l’influence des Melvins (entre autres), la genèse du groupe, la trajectoire vers les majors et le discours parfois ambigu de Cobain sur le succès, l’emballement médiatique qui fait du groupe ce qu’il ne veut pas être et de Courtney Love la méchante de l’histoire.
Bref, je ressors un peu barbouillée de ce documentaire, vaguement honteuse d’avoir eu accès à des scènes a priori réservée à la sphère intime.
Brett Morgen, Kurt Cobain: Montage of Heck, Universal Studios, 2015, USA, 132 minutes. Disponible en DVD.
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