mardi 21 juillet 2015

La garden-party de Thierry Bouüaert d'après Katherine Mansfield


Présentation
C'est le grand jour : la garden-party, et toutes les conditions sont réunies pour que ce soit une journée exceptionnelle. Pourtant, Laura est bouleversée car un homme est mort, un ouvrier qui habitait dans les pauvres logis à deux pas de la somptueuse propriété familiale. Faut-il maintenir la garden-party? 

Ce que j'en pense
Adolescente, par les hasards de mes lectures de la presse littéraire, je suppose, j'ai lu le Journal de Katherine Mansfield, et dans la foulée, La Garden-Party et autres nouvelles. J'ai le souvenir d'avoir adoré ce recueil, qui évoque pour moi la délicatesse des émotions, des sentiments - heureux ou douloureux - mais aussi un rapport à la fois sensuel et contemplatif au monde, qui ne pouvait que parler à une ado. Et comme à la même époque je lisais un peu Tchekhov, le rapprochement s'imposait, et quand je repense à Mansfield (jamais relue depuis), le qualificatif qui s'impose à mes yeux est "tchékhovien". 
Il se trouve que lors de mon dernier et récent séjour à Bruxelles, je suis allée, comme à chaque fois ou presque, au Musée de la Bande dessinée. Cette fois, j'au redécouvert la section de la collection permanente, complètement refaite et repensée, pour le meilleur. On suit les étapes de la réalisation d'une bande dessinée au lieu d'avoir un parcours strictement historique (sauf au début), et c'est formidable. Parmi les exemples proposés, il y avait un album que je connaissais pas, d'un dessinateur dont je n'avais jamais entendu le nom, Thierry Bouüaert, album intitulé Garden Party, librement inspiré de la nouvelle de Katherine Mansfield. La méthode de travail exposée était originale et intéressante, et j'ai par ailleurs été saisie par la beauté du dessin. A mon retour, sans hésiter, j'ai commandé la bande dessinée, et téléchargé le recueil de Mansfield, disponible gratuitement en e-book puisque dans le domaine public (excellente édition de la Bibliothèque Electronique du Québec, as usual). 

J'ai relu la nouvelle, superbe et déchirante, lumineuse et belle. Je n'avais plus aucun souvenir de l'argument (pensez, j'avais 14 ans) mais l'écriture et l'atmosphère étaient conformes au souvenir que j'en avais gardé: tchékhoviennes! 
Ravie, j'ai alors pu dévorer l'album. C'est un travail magnifique et d'une grande intelligence dans l'adaptation. Par son dessin délicat, Thierry Bouüaert rend compte du plus difficile : le rapport ultra-sensible au monde de la jeune fille, les sensations de cette journée ensoleillée, les émotions exacerbées de cet âge. Mais il réussit à souligner ce qui est toujours discret (mais bien là) chez Mansfield : un propos sur le monde, les rapports de classe, en transposant à notre époque l'intrigue. Dans la nouvelle nous ne savons presque rien de l'homme mort qui perturbe la jeune fille en cette journée de festivités, tandis que l'album s'ouvre sur ses derniers instants. Il devient ici un chauffeur-livreur sous pression, pression d'un employeur qui veut toujours gagner du temps, pression des créanciers qui le chassent de chez lui. Tout au long de l'album, radio en sourdine, conversations de la garden-party évoqueront la crise financière, ses conséquences sur les gens "d'en bas". Thierry Bouüaert souligne ainsi la portée sociale du récit, sans en gommer les élans de l'âme et sans en trahir l'esprit. 
Le dessin est somptueux, délicat et précis. La garden-party permet de croquer quelques beaux spécimens de cette classe aisée, pleine de morgue. Comme dans la nouvelle, la nature (domptée) des jardins est rendue avec une grande beauté, et Thierry Bouüaert parvient à rendre compte du rapport sensuel et contemplatif de la jeune fille. Les derniers planches, dont je ne dirais rien, sont déchirantes. J'ai été conquise de bout en bout, à la fois par la transcription fidèle à l'essentiel et absolument personnelle dans la relecture, mais aussi par le travail graphique, magnifique de maîtrise et de sensibilité. 
C'est donc une très belle découverte! 

Katherine Mansfield, La Garden-Party et autres nouvelles, Stock, 1929. Traduit de l'anglais par Marthe Duproix. Edition électronique établie par La Bibliothèque électronique du Québec, dans la collection Classiques du 20è siècle
Thierry Bouüaert, La Garden-Party, Quadrants (Soleil), 2011. 

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