Présentation
Le personnage qui donne son nom à la série est John Luther, un officier
de police londonien affecté à la brigade criminelle : récemment séparé de
sa femme qui ne supporte plus de le voir vivre avec les morts bien plus qu’avec
les vivants, il est à la fois un enquêteur hors pair et un homme sombre et
torturé, bien souvent tenté de franchir la limite pour arrêter les criminels…
Le premier épisode le voit aux prises avec une redoutable tueuse, qu’il
suspecte d’avoir massacré ses parents.
Mon avis
J’avais acheté les deux premières saisons de Luther, série produite par la BBC, lors d’un séjour à Londres en
décembre 2011, mais je n’avais pas pris le temps de les regarder. J’en avais
entendu parler dans Les Inrockuptibles,
qui soulignaient la grande qualité de cette série très noire. Je me suis enfin
plongée dans la première saison le week-end dernier, sachant qu’elle ne
comprend que six épisodes.
Et bon sang ! après un premier épisode qui m’a décontenancée, je
n’ai pas été déçue. Les premières scènes posent le personnage dans toute sa
noirceur : avant de découvrir l’extraordinaire enquêteur, on aborde un
personnage digne de Chandler et de ce que le roman noir a fait de meilleur.
L’homme est torturé, mais il a des valeurs, même si celles-ci le conduisent
parfois à des actes peu en accord avec ses fonctions. Dans le premier épisode,
j’ai craint un instant que la série ne tombe dans des ornières bien connues :
son affrontement avec Alice la tueuse me laissait penser que le personnage
allait être trop « héroïsé », si vous m’autorisez le barbarisme, et
que le duel avec la jeune femme allait être à la fois éprouvant pour mes nerfs
et nimbé d’un goût de déjà-vu… Mais le deuxième épisode m’a rassurée. Certes,
John Luther est un héros comme la grande tradition de la littérature populaire
a pu en fournir : il est grand, il est beau, il est fort, il est
intelligent. Mais parce qu’il est aussi travaillé comme un personnage de
hardboiled, il est complexe, sombre et dangereux. Le personnage d’Alice est
très intéressant : le scénariste retravaille le cliché de la perverse
narcissique, et de fait, elle est à la fois la némésis de Luther et sa plus
précieuse alliée, sans doute parce que, comme tout bon méchant (qu’on songe à
Moriarty), elle est aussi le double sombre de Luther, elle le comprend mieux
que personne. Elle reste effrayante, et Luther lui-même lui avoue avoir peur
d’elle, mais elle offre au spectateur le spectacle d’une sorte de déchaînement
pulsionnel maîtrisé (je sais, la formulation est bizarre) tout à fait
jubilatoire.
Les intrigues sont elles aussi remarquables. Bien sûr, il y a eu des
moments où j’ai trouvé le scénario un peu trop axé sur Luther-sa-vie-son-œuvre-ses-tourments,
et les deux derniers épisodes (surtout le dernier) auraient pu me décevoir. En
outre, les cas sont parfois invraisemblables (que de tueurs en série !),
mais ils sont contrebalancés par une certaine rigueur dans le déroulement de
l’investigation. En tout cas, je dois admettre qu’il y a là une montée en
puissance, en termes de tension narrative, parfaitement maîtrisée, quelques
surprises aussi. J’avoue ma préférence pour les épisodes où Luther enquête,
tout simplement, avec mention spéciale pour les épisodes 2 et 4… Le deuxième
épisode m’a vraiment emballée, c’est du noir comme j’aime, avec un personnage
d’assassin à la fois monstrueux et tragique, et un scénario dépourvu de
manichéisme. Le quatrième épisode est également terrible, il parvient à
revisiter le motif archi-rebattu du tueur en série par le développement de
l’intrigue : la fin est insoutenable tant elle tient en haleine, et l’ultime
scène est noire à souhait…
Le tout est impeccablement filmé : c’est très anglais, très
londonien devrais-je dire, la mise en scène est nerveuse, jamais affectée,
toujours efficace. Les comédiens sont tous impeccables : Idrissa Elba est
somptueux, et j’ai aimé retrouver Ruth Wilson, certes dans un registre
différent de Jane Eyre !
A mentionner, un clin d’œil dans l’avant-dernier épisode de la saison 1
à New York Unité Spéciale : l’un
des détectives fait appel, pour identifier deux gangsters américains, à un
certain Munch, détective à l’unité spéciale pour les victimes de New York.
Sachant que Munch est mon personnage préféré dans cette série pas terrible (en
tout cas très largement inférieure à New York
Police Judiciaire dont elle est un spin-off), j’ai apprécié…
En conclusion : j’ai failli être déçue par l’héroïsation outrée du
personnage de Luther, et d’habitude je n’aime guère qu’on me mette sous tension
comme on le fait ici. Mais parce que ça fait du bien de voir du hardboiled, j’ai tout de même aimé. Pour
tout vous dire, je vais enchaîner avec un plaisir immense sur la deuxième
saison, d’autant que la première se termine in
medias res. Oui je sais, d’habitude, on commence in medias res, et j’en entends certains dire « oui, elle veut
dire que c’est un cliffhanger, mais
elle fait sa crâneuse avec le latin ». Eh bien pas du tout ! Ce n’est
pas un cliffhanger parce qu’il clôt
(et de manière assez satisfaisante) l’action dans ses grands traits, sans nous
laisser sur un suspense insoutenable ; n’empêche qu’il ne conclut pas tout
à fait et qu’on se demande bien comment tout va s’apaiser… On laisse les
personnages sur le quai (littéralement), donc en pleine action. In medias res, je vous dis.
Pour qui ?
Pour les amateurs de polar, plus précisément de hardboiled. Pour ceux
qui aiment les bonnes séries, tout simplement.
Le mot de la fin
Inférieur à The Wire, mais
tout de même, waouh !
Luther, saison 1, série produite par la BBC, créée par Neil Cross, diffusée en 2010, Grande Bretagne. Disponible en DVD.
4 commentaires:
Aucun problème avec "in medias res" (ben oui, ancienne latiniste), en revanche ton "hardboiled" m'a décontenancée (et pourtant je speake english pas trop mal) car j'avais déjà vu le terme mais là, j'avais un blanc. Comment tu le traduirais ("dur à cuire" n'est pas suffisant, je suppose) ?
J'ai découvert la série sur Canal il n'y a pas très longtemps et, après avoir cru que ce serait trop glauque pour moi, j'ai beaucoup apprécié (mais mon souvenir n'est plus assez précis pour repérer précisément les épisodes que tu évoques par leurs numéros, il faudrait que j'aille en retrouver des résumés).
Et tu imagines que revoir Alice en psychopathe m'a fait drôle !
En fait oui, on traduit souvent par "dur à cuire", par référence aux durs-à-cuire à la Marlowe... Les "tough guys"... En général je parle de roman noir, mais là ça faisait bizarre d'écrire "une série noire" ou bien encore "ça fait du bien de voir du noir"...
Contente de ne pas être la seule à avoir vu cette série (et à l'avoir aimé)!
Oups ! Je viens de me relire après avoir lu ta réponse :
je voulais dire "et tu imagines que revoir Alice la psychopathe en Jane Eyre m'a fait drôle" !
Moi aussi je viens de me relire : "et à l'avoir aiméE" serait mieux... :-(
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