Présentation éditeur
Algérie, 1992. Après l'annulation des élections remportées par le Front islamique du salut, une poignée de généraux, les « janviéristes », ont pris le pouvoir. L'état d'urgence est déclaré, les islamistes pourchassés ont pris les armes. Le pays sombre dans une violence sans précédent...
Tedj Benlazar, agent de la DGSE, suit de près les agissements du tout-puissant Département du renseignement militaire, le sinistre DRS qui tire toutes sortes de ficelles dans l'ombre. Alors qu'il assiste à l'interrogatoire musclé d'un terroriste, Tedj apprend l'existence de camps de concentration où les islamistes seraient parqués dans des conditions inhumaines. En fouinant plus avant, il met au jour des liens contre-nature entre le DRS et les combattants du GIA. Quel jeu jouent donc les services secrets avec les terroristes ? Les massacres quotidiens sont-ils l'oeuvre des uns ou des autres ? Ou d'une instrumentalisation diabolique des seconds par les premiers ?
Benlazar acquiert la certitude que les généraux sont prêts à tout pour se maintenir au pouvoir. Et la dernière phase de leur plan va commencer : exporter le chaos par-delà la Méditerranée, pour forcer la France à soutenir leur croisade anti-terroriste. Tedj parviendra-t-il à réunir assez de preuves pour convaincre sa hiérarchie avant que l'horreur ne s'invite à Paris ?
Ce que j'en pense
Je m'étais précipitée dès sa sortie sur ce roman, curieux de découvrir le premier titre français de chez Agullo. Ce n'est pourtant que la semaine dernière que j'ai commencé la lecture et c'est très bien comme ça, car je n'aurai pas à attendre trop longtemps la sortie du volume suivant (mars 2019). Autant le dire tout de suite, j'ai énormément aimé La guerre est une ruse.
Je dois le confesser, j'ai trouvé le début rude : beaucoup de personnages, beaucoup de groupes avec leurs sigles, et la nécessité de poser la complexité de la situation algérienne à l'aube des années 1990. Mais par pitié, ne vous découragez pas si vous avez cette impression vous aussi. Oui, le début est touffu, mais pour ma part, je n'ai pas tardé à être emportée, et bientôt, il m'a été difficile de lâcher le roman.
Grâce aux personnages, Frédéric Paulin parvient à donner un souffle romanesque à une intrigue qui ne sacrifie jamais la complexité mais sans égarer le lecteur. Bellevue, Tedj, et des Algériens pris dans la tourmente, tous sont passionnants. L'auteur, à mon sens, ne cède jamais à la facilité, il évite les écueils, et ses personnages ne sont pas les "aventuriers" que d'autres en auraient fait à grand renfort de poncifs. J'ai aussi été sensible aux personnages féminins et à ce que Paulin en fait. Fadoul est un personnage magnifique, tout comme Gh'zala. Concernant cette dernière, Paulin évite en particulier le piège de la relation avec Tedj, dans lequel d'autres se seraient engouffrés. Tedj fait même preuve d'une cruelle auto-dérision, et de fait, jamais les personnages féminins ne seront des victimes sauvées par les braves militaires. Cela peut sembler un détail, pour moi ça n'en est pas un. Quant à Khaled, que je vous laisse découvrir, eh bien, naïve que je suis, je n'ai rien vu venir... (chut!)
Ce roman aurait pu s'appeler Les racines du mal, car il explore l'une des sources du bordel actuel, des dérives radicales, du chaos mondial. Roman noir éminemment politique, La guerre est une ruse fait de 1992 une année charnière. C'est passionnant, ça remue, et le roman montre l'ampleur du désastre. La force du roman est d'incarner les situations les plus complexes, de les donner à ressentir par les personnages. Il donne du sens, explique avec intelligence et vivacité, n'oublie jamais que les acteurs de l'Histoire sont des hommes et des femmes avec leurs histoires singulières, souvent tragiques.
Enfin, par le personnage de Tedj, Frédéric Paulin nous rappelle à quel point l'Algérie est somptueuse autant que tragique, même piétinée par ses propres dirigeants: les lumières, les paysages, les odeurs des fleurs, la rudesse du vent et du désert, la mer, tout ce qui donne envie à Tedj de retourner, coûte que coûte, en Algérie.
1992-1995, de l'Algérie à la France, la genèse d'une catastrophe, la préfiguration du chaos: La guerre est une ruse est un grand roman d'espionnage et un roman noir hors pair.
Frédéric Paulin, La guerre est une ruse, Agullo noir, 2018. Disponible en numérique.
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