dimanche 11 novembre 2018

Alexandre Lenot, Ecorces vives


Présentation éditeur
C’est une région de montagnes et de forêts, dans un massif qu’on dit Central mais que les routes nationales semblent éviter. Un homme venu de loin incendie la ferme dans laquelle il espérait un jour voir jouer ses enfants, puis il disparaît dans les bois. La rumeur trouble bientôt l’hiver : un rôdeur hante les lieux et mettrait en péril l’ordre ancien du pays. Les gens du coin passent de la circonspection à la franche hostilité, à l’exception d’une jeune femme nouvellement arrivée, qui le recueille. Mais personne n’est le bienvenu s’il n’est pas né ici.

Ce que j'en pense

Retenir déjà ceci : c'est un premier roman. J'ignore si c'est toujours Manuel Tricoteaux qui est aux manettes d'Actes noirs, mais il faut en tout cas reconnaître à la collection un sacré talent de dénicheur de plumes françaises en matière de roman noir. 
Le roman nous plonge d'emblée dans un territoire dont on sent qu'il sera un personnage à part entière, fait de montagnes et de forêts, sauvage, dur et protecteur à la fois. Le roman alterne les points de vue par chapitres, s'ouvre sur celui d'Eli et se ferme sur celui de Louise. Toute la construction converge vers ce final éblouissant, dont je ne peux rien vous dire sans gâcher votre plaisir de lecture. Ce qui me frappe dans ce roman, c'est qu'il allie une atmosphère qui sera familière à tous ceux qui connaissent les campagnes - quel qu'en soit le paysage - dans ce mélange de vieilles rancoeurs, de haines solides, de peur de tout ce qui est étranger ; et une envolée dans quelque chose de hors norme, où les rôles changent (je pense en particulier à Jean et Patrick, et à Andrew), faisant de ce roman une fable puissante, sociale et politique, l'air de rien, sans pesanteur. 
Une autre force de ce roman, c'est de ne pas tout nous expliquer, en long, en large et en travers. Les personnages gardent une part de leur mystère, et c'est très bien comme ça. Qu'il s'agisse d'Eli, de Laurentin, de Louise, enfin tous, à vrai dire. Et chacun est fascinant, touchant, troublant. Ils sont chacun à leur manière marginaux, et donc menacés par la norme, par la majorité empêchée de tourner en rond par leur seule présence. Chacun est en fuite, d'une certaine façon, oui, même Laurentin. 
Enfin, l'écriture est magnifique, à la fois simple et poétique, puissante. Je vous livre le dernier paragraphe du roman, parce qu'il ne vous livre rien de ce qui se passe directement, et parce qu'il est renversant de beauté:
"Et nous, vieux capitaine, enfants déracinés, jeunes mourants, hommes endeuillés, femmes abandonnés, fils et filles du monde mécanisé, nous les exilés, tous nous sursautons d'un coup. On l'entend enfin, après des décennies de silence, timide peut-être, l'oeuvre d'un solitaire, d'un éclaireur, pas encore celui d'une meute, mais bel et bien là: le hurlement d'un loup."
Rien à ajouter que ceci : lisez Ecorces vives. 

Alexandre Lenot, Ecorces vives, Actes Sud (Actes noirs), 2018. 


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