vendredi 17 novembre 2017

Le coeur est un chasseur solitaire de Carson McCullers


Présentation
Mick Kelly, Jake Blount, Benedict Mady Copeland, Biff Brannon vivent dans la même ville du fin fond des États-Unis. En chacun d'eux, des peines, des douleurs, mais également des rêves. Pour Mick, l'adolescente complexée, celui d'apprendre à jouer du violon : elle s'en est confectionné un qu'elle cache sous son lit. Biff, lui, observe ses clients pour échapper à sa vie de couple bien terne. Jake rêve d'un monde plus juste. Le Dr Copeland, victime d'harcèlements liés à sa couleur de peau, essaie pour sa part d'oeuvrer concrètement à la réalisation de ce monde. Ces quatre personnages se sentent seuls, abandonnés avec leurs révoltes. Jusqu'au jour où ils feront la connaissance de John Singer, sourd-muet qui inspire confiance. Animés par la volonté tenace d'échapper à cette solitude profonde, ils trouveront tour à tour dans cet homme calme et courtois une écoute et la possibilité d'être compris.

Ce que j'en pense
Carson McCullers fait partie des auteurs de langue anglaise (américaine ici) que j'ai découverts quand j'étais adolescente. J'ai alors lu Reflets dans un oeil d'or, que j'avais aimé sans probablement bien en saisir la portée (j'avais 13 ans). C'est la récente édition chez Stock (2007), avec nouvelle traduction et appareil critique, qui a attiré mon attention et j'ai choisi le tout premier roman de Carson McCullers. Ma lecture m'a dans un premier temps déconcertée, je dois l'avouer, et ces deux sourds-muets à la relation fusionnelle peinaient à susciter mon empathie ou même mon intérêt. Il a fallu que le personnage de Mick soit introduit pour que j'entre pleinement dans cet univers, mais à partir de là, je n'ai plus lâché le roman. Je ne savais pas où m'emmenait la romancière, mais je ne voulais plus quitter les personnages, et si ma prédilection allait à la jeune Mick, j'ai aimé suivre les autres, tous... M. Singer est une sorte de catalyseur, celui qui rassemble les personnages, les fascine, les attire. Son silence forcé en fait un interlocuteur de choix, ou plutôt un réceptacle, sur lequel chacun projette ce qui l'arrange. Sa chambre même est une sorte de refuge, de havre de fraîcheur dans ce Sud étouffant, le lieu où l'on peut tout dire, persuadé d'être compris sans être jugé. 
La force romanesque de Carson McCullers est assez stupéfiante, surtout si l'on se souvient qu'elle avait une petite vingtaine d'années à la parution du Coeur est un chasseur solitaire. Je suis épatée par sa capacité à construire des personnages si différents, à nous faire entrer avec subtilité dans l'intériorité, les tourments et les conflits d'hommes et de femmes d'âges, de conditions et de positions sociales variés. D'un médecin noir révolté par la misère et les discriminations violentes dont est victime la communauté noire à un communiste révolté aux pulsions violentes en passant par une jeune fille en passe de quitter l'enfance et ses possibles, ou encore un homme installé dans la vie qui contemple sa vie et ses contemporains depuis son comptoir de bar, chacun se voit abordé avec douceur, empathie, et c'est très beau. Qu'une toute jeune femme comme Carson McCullers arrive à saisir les tourments d'un homme noir révolté aussi bien que le deuil qui frappe un homme marié, cela force l'admiration. Les relations que tissent ces personnages sont également magnifiques. 
L'intrigue est construite en trois temps, et le troisième temps est celui des désenchantements, des renoncements et des ruptures - parfois violentes et morbides. Pas de mélodrame, rien d'appuyé ou de démonstratif. Carson McCullers dresse un portrait du Sud à une époque précise: les injustices sociales, le racisme et son expression institutionnelle la plus violente, la pauvreté qui condamne Mick à renoncer à ses espoirs pourtant modestes... L'acuité de Carson McCullers la conduit à poser un regard très sombre sur cette Amérique, et c'est aussi ce qui m'a plu, évidemment. 
Je ressors de cette lecture avec l'envie de continuer à lire Carson McCullers, dans les excellentes rééditions de Stock. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, allez sur le site de France Culture, car plusieurs émissions lui ont été consacrées lors de ces rééditions. 

Carson McCullers, Le coeur est un chasseur solitaire (The Heart is a Lonely Hunter), Stock, La Cosmopolite, 2007. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Frédérique Nathan. Publication originale : 1940. Disponible en ebook.

1 commentaire:

Brize a dit…

Une lecture marquante, pour moi. J’ai presque tout lu de l’auteur (mais il y a longtemps, je devrais relire). Je suis heureuse que tu aies aimé.