Présentation éditeur
Elle s’appelle Eva, elle est adorable avec ses boucles blondes et ses bras potelés. Une enfant des années 70. Ses parents se séparent très vite. Dès lors, sa mère l’enferme dans un quotidien pervers et éloigne le père par tous les moyens en le traitant de « nazi ». Photographe, elle prend Eva comme modèle érotique dès l’âge de quatre ans, l’oblige à des postures toujours plus suggestives, vend son image à la presse magazine.
Emportée dans un monde de fêtes, de déguisements et d’expériences limite, entre féerie et cauchemar, la petite fille ne cesse d’espérer et de réclamer l’absent qui seul pourrait la sauver de son calvaire. Mais sa mère, elle-même fruit d’un inceste, maintient l’enfant-objet sous emprise et attendra deux ans avant de lui annoncer la disparition de son père. Enfin, à l’adolescence, le scandale explose.
Comment survivre parmi les mensonges, aux prises avec une telle mère, dans une société qui tolère le pire ? Une seule voie, pour Eva devenue adulte mais restée une petite fille en manque d’amour : mener l’enquête sur son père, tenter de reconstruire ce qui a été détruit. Une expérience vertigineuse.
Ce que j'en pense
J'avais lu le récit de Simon Liberati, Eva, et je l'avais aimé. C'est pourquoi j'ai eu envie de lire le récit que la principale intéressée, Eva Ionesco, livre d'une partie de son histoire, celle qui correspond à l'emprise de sa mère sur sa petite enfance et à ce qui est, purement et simplement, une maltraitance et une série d'abus sur sa propre fille. Arrivée à un peu plus d'un tiers de ce livre, je m'arrête. Mon malaise est trop grand et je me sens dans une position quasi-voyeuriste que je refuse d'endosser plus longtemps. Je n'ai rien à reprocher à l'autrice, et certains aspects de son récit me touchent et m'émeuvent. Ainsi, la relation à son père, éternel absent, empêché d'exercer son rôle de père par la mère abusive: l'amour qu'il porte à sa petite fille, celui qu'elle éprouve en retour pour cet homme au passé (et au présent) un peu trouble, sont des éléments assez lumineux, en tout cas à ce stade de ma lecture. Il est peu présent, mais il existe très fort dans le récit et dans la vie de la petite fille. Il y a aussi l'intermède américain, étrange mais qui représente un moment de relative sécurité pour la petite fille, avec un cadre familial décalé mais un peu structurant. Là Eva est une enfant, qu'on traite comme telle.
Mais il y a tout le reste : cette mère folle et irresponsable qui, dès la naissance de l'enfant, dénie au père toute place officielle et effective dans l'existence de la petite Eva ; les conditions de vie dans une chambre minuscule auprès d'une aïeule, l'arrière-grand-mère, qui fait ce qu'elle peut mais ignore presque tout de ce que trame la mère. Ces conditions de vie justifieraient probablement un signalement à elle seule. Mais bien sûr, nous le savons tous, il y a bien pire : la mère (faut-il lui conserver ce titre, d'ailleurs?) emmène sa fille comme on emmène une poupée dans des lieux artistes et interlopes où une enfant n'a rien à faire, et dérape peu à peu de la maltraitance à l'abus caractérisé. Sous son objectif, l'enfant devient un objet de fantasme malsain pour la mère, un objet sexuel à qui l'on fait prendre la pose, de plus en plus lascive, et enfin pornographique. Les photos ne tardent pas, sous l'alibi artistique d'années 1970 à la permissivité coupable, à être vendues et à circuler. L'enfant est objet sexuel et marchandise. Eva Ionesco retranscrit sans doute avec justesse, pour autant que je puisse en juger, deux choses : d'abord on oublie parfois puis on se souvient avec effroi que l'enfant dont il est question n'a pas 12 ou 13 ans (ce qui serait de toute façon abominable) mais 6 ans quand tout démarre ; car Eva Ionesco mêle le regard de l'adulte qu'elle est mais aussi d'une enfant grandie trop vite dans les perversions de sa mère, et qui jette très tôt sur celle-ci le regard distancié et écoeuré d'une enfant qui se sait maltraitée et abusée, même confusément. Ce décalage est très troublant mais je suis convaincue qu'il correspond au regard de l'enfant qu'elle était, peu ou prou. Une enfant privée d'enfance.
D'où vient mon malaise? Je sais pour avoir lu des avis sur ce livre que le récit s'arrêtera quand elle aura onze ans, c'est-à-dire quand les services sociaux la retireront à sa mère. Ainsi, je suppose que je ne lis que la période de la destruction de cette enfant, et je crois ne pas pouvoir supporter cela. Je me trompe peut-être (la présentation de l'éditeur laisse penser qu'elle va ensuite, adulte, enquêter sur son père), mais je cède à mes peurs. Et du coup, je me demande pourquoi je voudrais lire cela jusqu'au bout, et comme Eva Ionesco livre un récit courageux, parfois cru, toujours violent, je me sens mal à l'aise, en position de voyeur, et cela me déplaît. Si c'était de la fiction, je supporterais sans doute le même récit. Oui mais voilà, Eva Ionesco a réellement vécu cela, et je ne vois pas quelle catharsis ou quel soulagement je pourrais éprouver à la fin du récit. Surtout en sachant qu'aujourd'hui encore, sa mère ne semble pas voir où est le problème et continue de revendiquer la propriété artistique des photos et le droit de les vendre, en sachant aussi que certaines photos sont visibles sur la toile. J'en éprouve une nausée et une colère que vous n'imaginez pas. Aller au bout de ce récit serait peut-être une façon de rendre justice à Eva Ionesco, mais c'est au-dessus de mes forces.
Eva Ionesco, Innocence, Grasset, 2017. Disponible en ebook.
6 commentaires:
Je te comprends. J'ai vu à la télé l'auteur présenter son livre et répondre aux questions, et là aussi malaise, tellement cette femme semble glacée (de l'intérieur?)
C'est parce que cet ouvrage choque et dit les choses véritablement qu'il est dérangeant je pense, j'adore ce genre de livre parce que ça démontre le pouvoir de la littérature. Parce que l'art n'est pas là pour être beau et complaisant mais il est là pour bouleverser les coeurs. Et le fait qu'il y ait des artistes qui trouvent le courage de publier ces oeuvres c'est important car ça ouvre la voix à l'expression et en encouragera d'autre à suivre la même voie.
Non la littérature n'est pas nécessairement là pour faire joli, je suis pleinement d'accord et je pensais vraiment que j'irais au bout, mais je n'ai pas pu. Je suis très admirative du courage et de la force d'Eva Ionesco.
Étrangement, j'ai parlé d'elle hier et sur les parents qui "abusent" de leurs enfants ou les jalousent. Je savais qu'elle avait écrit son propre livre, j'ai vu un morceau du documentaire de Flavie Flamant sur ce type de mère maltraitante et cela m'a suffit....
Comme toi, je trouve normal que l'on puisse écrire sur tout (mettre des mots c'est à la fois rendre la chose réelle et pour l'auteur s'en détacher) et parce qu'il faut alerter les autres mais, je comprends aussi ta réaction face à tant de maltraitance et d'abus. J'avoue que je n'ai jamais eu envie de le lire. Oui Eva a été très courageuse et elle continue de l'être en publiant ce livre ;-)
Oui c'est important que les auteurs et autrices puissent transformer l'indicible en oeuvres littéraires (ou cinématographiques, peu importe le média).
@Keisha : blogspot avait une fois encore mangé ton commentaire mais j'ai trouvé le moyen de contourner la difficulté... Je n'ai jamais vu Eva Ionesco s'exprimer, mais je me dis : comment mener une vie "normale" (je n'aime pas ce mot) après avoir vécu ça et en étant toujours confrontée à la folie de sa mère? Je n'aime pas abandonner des lectures mais là, je dois dire que je n'ai pas de regret.
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